Le terrier des jeunes

Récit imaginé par Claire, Domitille et Martin et facilité par Mathilde Aladame et Lucien Bonhomme dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 12 décembre 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 2 ?


Hello Antoine,  

Je quitte le travail et prends le temps de me poser pour te donner des petites nouvelles. Je ne vais pas la faire trop longue parce que ce soir, c’est soirée Cuis’Tout à Dijon : tous les quartiers se réunissent pour cuisiner ensemble et proposer une spécialité aux autres, une recette concoctée avec les produits de leurs récoltes. Notre ferme urbaine a de tellement bons rendements que l’on est carrément autonome en légumes désormais. Si j’avais su que je serai si heureux à 50 ans, je ne me serai pas fait des cheveux gris dès mes 25 ans en pensant à mon avenir. Bref, je t’écris pour te raconter quelque chose qui nous est arrivé récemment, à moi et aux autres.  

C’était lors de la soirée Cuis’Tout du mois dernier. J’y suis allé comme d’habitude, et tout allait bien… Mon ventre a commencé à gargouiller, j’étais même un peu pompette, on ne se refait pas ! Bref… 

Comme je te le disais jusqu’à 21h00 tout allait bien. Mais c’est sur le coup de 21h15 que je m’en suis rendu-compte. J’avais reçu 3 notifications et comme d’habitude, je ne m’étais pas inquiété. Le  proviseur, qui est arrivé en début d’année met toujours beaucoup de zèle pour prévenir les parents de tout et de rien – Il veut nous associer aux décisions de l’école, ce qui est une bonne chose –  mais de temps en temps il en fait un peu trop. Bref, à la 5ème notification, j’ai jeté un œil sur mon portable et là j’ai compris !  

Emile n’était pas venu de l’après-midi, personne ne l’avait vu et ses copains commençaient à s’inquiéter. J’ai mis quelques secondes à réagir. J’ai eu du mal à croire qu’il ait pu faire une connerie, mais quand même… A 15 ans, tu te souviens, on peut avoir des idées tristes.  

Et c’est là que je suis monté dans sa chambre et que j’ai vu sa lettre : « J’en ai marre ! Je me barre ! » Puis je suis descendu au garage et j’ai vu que son vélo n’était plus là.  

C’est qu’il a de bons mollets mon petit et depuis le matin, il pouvait déjà être loin. Sur le moment je ne me suis pas trop inquiété parce qu’il connaît si bien la nature qu’il est capable d’y trouver toutes les ressources pour vivre mais tout de même. Cela m’a ennuyé de ne pas avoir été suffisamment à l’écoute de ses besoins. Cela faisait quelques temps qu’il ruminait et me disait qu’il ne comprenait pas pourquoi on ne faisait rien pour soutenir les pays sinistrés. Selon lui, notre « entre-soi » n’était pas très bon et nous amenait finalement à être égoïste en vivant chacun dans notre coin en quasi autonomie. L’ouverture au monde ça a du bon aussi c’est évident. 

A ce moment-là, j’ai tellement admiré Emile. Faire ce choix difficile de prendre la route, sur son vélo.  

Je pense qu’il était guidé par son amour pour Maria. Et c’est là que j’ai compris. Maria, dont il me parlait si souvent, vivait en Ouzbékistan, où des choix différents ont été faits. Emile a tout simplement voulu partager un peu de son attachement aux autres avec elle. Sur son vélo, ce n’est pas seulement lui et son sac à dos qu’il a transporté, mais une partie de nous aussi. Toute notre communauté, notre attachement les uns envers les autres, notre solidarité et notre convivialité. Et puis j’ai vu tout de suite qu’il avait pris sa guitare. Tu vois c’est le genre de détail que j’ai tout de suite remarqué. Sa guitare, son cahier de croquis et ses feutres. Ça m’a rassuré en fait. J’ai été sûr à ce moment-là qu’il savait ce qu’il faisait. Les chiens ne font pas des chats ! C’est pas à toi que je vais l’apprendre.  

Et finalement j’ai compris qu’il fallait qu’on fasse quelque chose pour eux – cette génération des années 40 ! – et qu’on leur ouvre des perspectives ! 

Nous avons alors tous décidé de créer un lieu dédié aux jeunes pour qu’ils puissent expérimenter, découvrir et partager. Nous avons décidé de l’appeler  » Le Terrier des jeunes ». Les jeunes de la communauté se le sont rapidement appropriés et certains ont décidé d’entrer en contact avec mon fils pour organiser avec lui un projet d’échanges interculturels. Leur idée c’est de partager les regards sur leurs modes de vie, des astuces pour adopter un mode de vie circulaire, local et convivial. Ils ont même décidé de s’échanger des recettes de cuisine.  

C’est mon ventre qui est content !