notre raison d’etre

Nous tous - adultes et enfants, écrivains et lecteurs -, nous avons l’obligation de rêver. Une obligation d’imaginer. Il est facile de se conduire comme si personne ne pouvait rien changer, comme si nous étions dans un monde où la société est énorme et l’individu moins que rien; un atome dans un mur, un grain de riz dans un champ. Mais la vérité, c’est que les individus changent sans cesse leur monde, les individus fabriquent l’avenir, et ils le font en imaginant que les choses peuvent être différentes.

Neil Gaiman, Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture, et de l’imagination

Une guerre des imaginaires est déjà engagée.

Alain Damasio

Si nos évidences sont les utopies d’hier, les évidences de nos enfants et de leurs enfants sont nos utopies d’aujourd’hui.

Sandrine Roudault

Face à l’extinction du vivant et aux délitements de nos sociétés, quatre voies d’action portent des lueurs d’espoirs lucides: lutter pour défendre la vie, créer des alternatives pour plus de résilience, créer plus de reliance, imaginer des nouveaux récits (1). Loin de s’opposer, ces voies se complètent, entrent en résonance et permettent à chacun.e de s’engager dans celle(s) qui lui correspond(ent). futurs proches s’inscrit dans cette dernière: écrire de nouveaux récits capables d’irriguer nos imaginaires et de contribuer, modestement, à faire évoluer les consciences. 

Changer d’imaginaire.

Changer d’imaginaire, c’est opter pour un autre regard sur la réalité pour mettre en évidence les incohérences du discours dominant à l’origine des crises sociales, politiques et écologiques actuelles. Écraser l’imaginaire est la meilleure manière de prévenir toute transformation profonde dans une société. A la question “comment pourrions-nous vivre ?”, la facilité ne nous amène souvent qu’à une seule réponse: “Demain sera pareil à aujourd’hui, à peu de choses près“. (2)

 

Mais plus les crises s’approfondissent, plus de voix s’élèvent pour refuser cet état de fait, voix dissidentes qui se font de plus en plus fortes et de plus en plus difficiles à faire taire. Nous sommes sûrement à l’aube d’une grande résurgence des imaginaires collectifs. “Comment pourrions-nous vivre?” ne suffit plus: voilà que vient “Comment voulons-nous vivre?”.  (2)

 

A cette question, deux imaginaires dominants s’affrontent: l’imaginaire technologique de transgression des limites (porté par exemple par les récits de transhumanisme ou de singularité) et l’imaginaire environnemental d’affirmation des limites d’un système-Terre enchevêtré aux êtres vivants, végétaux et minéraux (porté par les récits d’effondrement civilisationnel) (3). De ces deux imaginaires, opposés, difficilement réconciliables, se dégage un point commun: un certain fatalisme démissionnaire qui invite à apprendre à mourir plutôt qu’ à vivre. Et si il y avait quelque chose à creuser entre ces deux visions annihilantes et mortifères de l’avenir ? C’est là que l’imaginaire entre en scène.

Nous avons besoin de rêver.

Nous avons besoin de rêver. Nous avons besoin d’imaginer quels espaces nous voulons habiter, dans quelles villes nous voulons évoluer, quels moyens nous voulons utiliser pour nous déplacer, comment nous voulons produire notre nourriture, comment nous voulons vivre et décider ensemble, comment partager notre planète avec tous les êtres vivants (4). Nous avons besoin de créer ces imaginaires pour qu’ils s’insinuent dans nos vécus, pour qu’ils nous traversent et pénètrent nos corps et nos esprits. Pour reprendre le minifeste (oui oui, le minifeste) du collectif Zanzibar, “nous restons convaincus que nos avenirs – communs et individuels – nous appartiennent, et que nous avons le pouvoir de les imaginer, de jouer avec, de les expérimenter et de les construire à notre guise.” (5).

 

Encore faut-il imaginer ce que nous voulons et que la multitude de ces imaginaires vienne les faire émerger puis les transformer en objectifs communs de vivre-ensemble (2).

 

C’est, modestement, l’intention portée par futurs proches: une contribution à l’appel actuel et récurrent à de “nouveaux récits”. C’est notre manière, critiquable peut-être, sincère sans aucun doute, de faire de la politique voire faire acte de résistance. L’imagination, reine des facultés selon Baudelaire, est un acte de résistance.

Comment le faisons-nous ? Par le potentiel immense de la fiction, de la joie et du collaboratif.

Nous avons besoin d’utopies, de récits, d’héro.ïne.s et anti-héro.ïne.s, de pirates et d’aventurier.ère.s. De mots qui viennent se superposer aux statistiques, concepts, aux pourcentages, aux degrés, et les incarner. Qui viennent décadrer le réel et éprouver nos sens. Qui apportent au monde un supplément de poésie et de sensibilité (6).

 

La fiction est un “soft power” politique, elle permet de contribuer à une certaine ambiance dans la société, qui la rendra plus ou moins sensible à la mise en place d’actions de résilience, de résistance, de reliance et de renouveau (6). Le récit, le mythe, la fable, le conte, le discours narratif, nourri par l’imagination, tel est le propre de l’être humain. Nous sommes le seul animal capable de croire en des choses qui existent uniquement dans notre imagination, telles que des dieux, des États, de l’argent, des droits de l’homme, des entreprises et d’autres fictions. Nous avons développé une capacité unique à utiliser ces histoires pour unifier et organiser des groupes et assurer notre coopération (7).

 

Exploitons ces ressources innées. 

 

Que voulons-nous imaginer ? Des récits de guerre, de domination, de patriarcat, d’hommes providentiels beaux, musclés et intelligents, d’apocalypse armée, de monde dévasté, de dystopies habituellement servies par l’imaginaire dominant ? 

 

D’autres peut-être, pas nous. 

 

Parce qu’il n’y a rien de plus révolutionnaire que la joie, parce que quelqu’un de triste résiste moins et obéit par défaut, parce que l’espoir et la volonté se nourrissent du bonheur de défendre ensemble des valeurs partagées (8), nos récits proposent des imaginaires désirables, inspirants, joyeux qui mettent en avant des valeurs d’altérité, de fraternité, de sororité, d’entraide, de réciprocité et d’union. 

 

Ces valeurs se matérialisent par la dimension collaborative de notre approche. Nos récits ne sont pas l’œuvre d’un travail individuel, mais d’une œuvre collaborative dans laquelle des citoyen.nne.s appelé.e.s par cet élan de “nouveaux récits” contribuent à créer le monde que nous voulons. futurs proches se contente de créer les conditions pour favoriser l’émergence de ces récits. Nos ateliers contribuent ainsi à réactiver nos cellules multicolores d’imagination d’enfant (plutôt que grises de réflexion d’adulte) pour faire vivre au plus grand nombre le plaisir contagieux d’imaginer des histoires et de façonner des désirs. L’imagination est résiliente. Si nous mettons de côté tout ce qui la bloque, elle rejaillira de toute sa force, parce qu’elle est dans notre nature même. Elle est essentielle à notre espèce. Il suffit de créer les bonnes conditions pour qu’elle prospère (9).

 

Petit à petit, nous sommes convaincus que ces récits d’un genre nouveau mâtineront nos représentations, contamineront positivement les esprits, irrigueront nos réseaux et, s’ils sont largement partagés, se traduiront structurellement dans nos vies.

Bienvenue chez futurs proches

Texte validé le 29 mars 2021, par le Comité de l’association futurs proches. 

Texte inspiré des réflexions de 

(1) Arthur Keller, interview dans “L’effondrement de l’empire humain : regards croisés”, Rue de l’échiquier

(2) Philippe Vion-Dury, édito du hors série Socialter, Le réveil des imaginaires

(3) Ariel Kyrou, “Dans les ’imaginaires du futur”, éditions ActuSF

(4) Cyril Dion “Petit manuel de résistance contemporaine”, Actes Sud Editions

(5) Collectif Zanzibar, Désincarcérer le futur, http://www.zanzibar.zone/

(6) Corinne Morel Darleux, article du hors série Socialter, Le réveil des imaginaires

(7) Yuval Noah Harari, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, éditions Albin Michel, 

(8) Alain Damasio, interview dans le hors série Socialter, Le réveil des imaginaires

(9) Rob Hopkins, Et si.. On libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? Actes Sud Editions