Fictions territoriales à Strasbourg – Retour d’expérience

Article co-rédigé par Vanessa Weck et Nicolas Gluzman.

Au cours de l’été et de l’automne 2021, futurs proches a mené trois ateliers en collaboration avec l’Eurométropole de Strasbourg. Trois ateliers pour trois moments distincts les uns des autres qui permettent de mettre en avant les différentes intentions lorsque nous collaborons avec des collectivités, communes ou territoires: 

  • expérimenter des nouvelles approches de médiation
  • sonder les représentations du futur des habitants, 
  • permettre à tout un chacun d’expérimenter des sujets écologiques parfois complexes à travers un atelier créatif et collaboratif.




Premier atelier: Et si nous imaginions Strasbourg en 2050 ? … en famille

Fin août 2021, c’est l’été à Strasbourg. La ville se remplit d’activités, festivals, ateliers et évènements à destination des habitants de la ville et notamment des familles. C’est ainsi qu’a lieu chaque année l’évènement “Eté à Strasbourg” dont le thème de 2021 était l’imagination. Au programme: découvertes poétiques, balades contemplatives, déambulations magiques dans des espaces végétalisés, vision merveilleuse et féerique de la nuit strasbourgeoise. L’Eurométropole avait proposé de plonger dans un univers qui invitait à une immersion dans l’imaginaire et à se projeter dans un avenir désirable. L’envie est ainsi née de compléter ces découvertes par une journée d’ateliers d’imagination et d’écriture de récits pour des familles et leurs enfants, sur le thème de “Strasbourg en 2050”.

Notre méthode habituelle et “standard” dure 3 heures. Ici la situation ne s’y prêtait pas, d’une part en raison du choix du public participant (enfants et adolescents), et d’autre part  afin de permettre aux participants de profiter du festival et de passer un moment en famille. Ainsi, nous avons adapté notre méthode avec une trame ultra-simplifiée pour que les ateliers durent 1h30. Voici la trame ci-dessous, qui reprend le schéma classique de voyage du héros.

Le résultat de cette approche fut mitigé pour les trois raisons suivantes: 

  • Le parti pris des organisateurs était de compter sur la communication faite en amont et sur le passage pour attirer des participants aux ateliers. Il n’y avait donc pas d’inscriptions au préalable. Les animatrices avaient donc mis en place un espace confortable pour susciter l’intérêt des passants. Parallèlement, elles ont été à la rencontre des familles et groupes, accompagnées de médiateurs, afin de leur proposer de participer à l’atelier. Elles ont pu animer quelques ateliers mais ce format était trop inconfortable pour garantir constamment des ateliers pleins. En outre, les règles sanitaires de la pandémie du COVID invitaient à minimiser tout rassemblement trop important.

  • L’approche en 1h30 a le mérite de permettre à quiconque, en un minimum de temps d’amener des idées et de penser à demain, de façon très simple, accessible et amusante. Cette approche est ainsi particulièrement adaptée pour faire émerger des premières idées qui pourront servir par la suite à l’élaboration de textes plus aboutis. Toutefois, l’approche n’est pas suffisamment forte pour construire un récit cohérent, de bout en bout, prêt à être publié (ce qui est notre marque de fabrique) et encore moins avec des enfants et adolescents.

  • La réalisation de l’atelier avec des enfants de moins de 10 ans a souligné la richesse de leur imaginaire. De fait, leurs idées aboutissent à des récits dont les univers sont plus proches de celui d’Alice au pays des merveilles que des scénarios de l’ADEME ;-). Or selon l’approche que propose futurs proches, les récits co-construits doivent répondre à différentes contraintes narratives: respect des limites planétaires, inscription dans une géographie locale, caractère plausible, fondé sur des valeurs de solidarité. Avec des adolescents, il est potentiellement envisageable d’aboutir à des récits compatibles avec le cadre de la méthodologie et donc d’aboutir à des récits conformes aux contraintes, avec des enfants moins.

Riche de ces apprentissages, nous avons pu aborder d’aborder le deuxième moment de façon différente.


Deuxième atelier: Et si nous imaginions l’Eurométropole de Strasbourg en 2050 ? avec les signataire de la déclaration d’urgence climatique


Pour le deuxième atelier, l’équipe organisatrice a conservé le thème: “Et si nous imaginions l’Eurométropole de Strasbourg en 2050 ?”, mais cette fois en privilégiant des invitations ciblées vers des citoyen.nne.s signataires de l’Alliance pour le Climat qui réunissait les signataire de la déclaration d’état d’urgence climatique du 4 juillet 2020. L’atelier futurs proches visait cette fois à expérimenter une nouvelle approche pour alimenter la mise en œuvre du Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET). 

Nos ateliers se découpent en trois phases: une phase d’exploration et d’appropriation de la thématique de l’atelier à travers différentes approches (comme une méditation guidée, ou l’arpentage d’un texte), une phase de structuration du récit (pendant laquelle les participants choisissent le ou la personnage, le lieu, l’élément de tension, le début, la fin de l’histoire) et enfin une phase d’écriture. 

Dès le début, les participants ont été projetés dans le futur suivant, dans lequel devaient s’inscrire leurs récits: 

En 2050, l’Eurométropole de Strasbourg n’a jamais autant rayonné. Au cours des dernières décennies, le concept de ville intelligente verte du passé s’est transformé en ville résiliente et adaptative. De par ses choix, l’Eurométropole fait ainsi figure de pionnière parmi les grandes agglomérations européennes. Face aux bouleversements environnementaux, la région a su s’adapter. Des tours maraîchères aux balcons potagers, des ponts habités enjambant le Rhin, des corridors écologiques d’arbres de 23 kilomètres de long ponctués d’immenses immeubles photo-catalytiques “dépolluants” en forme de tubes ou d’alcôves, et de gigantesques fermes verticales ont permis d’accueillir l’augmentation de la population des villes et communes de l’Est de la France. Des espaces créateurs de communs ont peu à peu remplacé les bâtiments inutilisés. Les mobilités douces ont également favorisé le bien-être de la région. L’air est pur, les rues sont calmes , l’horizon est dégagé. La nature et le Vivant trouvent leur place au milieu du rythme citadin toujours rapide et productif. La végétalisation croissante des communes a permis d’atténuer les hausses de température sans pour autant les gommer. Pour autant, l’autosuffisance énergétique et alimentaire ne sont pas encore acquises et de nombreuses problématiques demeurent: les relations avec les campagnes, les inégalités climatiques, les choix de renoncements à opérer…

Trois récits sont issus de cet atelier: Une journée ordinaire raconte la journée de Menelik, migrant climatique d’Alger qui a été accueilli à Strasbourg par un comité de quartier, Journal de bord d’un air-eau du quotidien imagine Strasbourg avec une montée des eaux et l’optimisme de Noé, 10 ans, qui siège pour la première fois au conseil citoyen de la ville, et C’est grillé! raconte l’histoire de Areiti, également un émigré climatique qui va apporter la solution à un problème de parasite dans les cultures.

Trois histoires qui, si elles partent de la même méthode et du même thème, explorent des imaginaires différents et complémentaires issus des participants. Les récits ci-dessus ne témoignent que partiellement des échanges et de la collaboration nécessaire entre les participants pendant les trois heures de l’atelier. Les textes en sont le compromis.Par ailleurs, il est intéressant de constater que les participant.es sont parfois en contrepoint de certains éléments de la description faite de Strasbourg dans la visualisation. Ainsi, Une journée ordinaire interroge le “rythme de vie citadin toujours rapide et productif”. Journal de bord d’un air-eau du quotidien fait écho aux évènements climatiques extrêmes qui avaient frappé l’Allemagne et la Belgique. C’est grillé! , met en perspective des fermes urbaines à taille humaine qui se distinguent des “gigantesques fermes verticales”. Ils se réunissent également par le recours aux technologies low tech de leurs personnages. De même, l’appréhension des inégalités climatiques y est très présente. Les personnages des récits incarnent pleinement les valeurs de solidarité, de mixité et d’entraide inter-générationnelle.

Cette analyse rapide et sommaire est un éclairage sur les attentes et l’imaginaire des habitants, riche d’indications quant à des angles de mobilisation, d’approche sur les enjeux climatiques. Cette lecture doit également être conduite au prisme du profil des participants. Ceux-ci étaient signataires de l’Alliance pour le climat, donc déjà sensibilisés aux problématiques climatiques.


Deux de ces textes ont fait l’objet d’une adaptation graphique par Antonio Meza, membre de futurs proches et facilitateur graphique, pour communiquer à travers un autre medium que le texte, le résultat de cette soirée.

Troisième atelier: Et si on imaginait un territoire dans lequel le mot déchet n’existe plus… ?

Le dernier atelier, cette fois, était ouvert au grand public pendant la Semaine Européenne de Réduction des Déchets (la SERD). Le thème était le suivant: ​​”Et si on imaginait un territoire dans lequel le mot déchet n’existe plus… ?”. La métropole ayant également compétence en matière de collecte, traitement et élimination des déchets.

Les participants, étaient cette fois plongés dans le futur suivant: 

Nous sommes le 6 août 2050 à Strasbourg et il fait 36°C. L’Eurométropole de Strasbourg vient d’élire sa nouvelle présidence. Après la publication du 7ème rapport du GIEC en 2027, plus alarmant que les précédents, les gouvernements ont décidé de lutter radicalement contre le réchauffement climatique en interdisant la surconsommation et l’extraction des ressources naturelles, sauf en cas d’extrême nécessité. Désormais, la réparation et le réemploi sont devenus obligatoires et les commerces vendant du neuf sont en faillite. Les tiers-lieux promouvant le DIT (Do It Together) et l’artisanat se multiplient. Plus rien n’est jeté, plus rien ne se perd et se crée, tout se transforme. Les citoyens n’achètent plus et préfèrent donner, échanger et partager. Une nouvelle économie, sans argent, se développe, à un point tel que certains habitants choisissent de ne plus gagner de salaire pour se dédier à la vie de leur communauté. Tous les quartiers prioritaires de la ville, autrefois précaires, sont devenus prospères et autonomes. Les habitats participatifs sont devenus majoritaires et la notion de propriété individuelle disparaît peu à peu pour laisser place à des biens gérés collectivement par les citoyens (moyens de transports y compris)… 

Là encore, trois textes sont nés. Mario, le voyageur statique, l’histoire d’un plombier itinérant, Le jardin de Jac(vocat) raconte la vie de Jacques seul fournisseur d’avocat de Strasbourg, au succès fulgurant, et le très touchant Alice s’émerveille, qui peint l’histoire d’Alice, atteinte de la maladie d’Alzheimer et magnifiquement entourée de ses colocataires. 

Ces 3 textes ne traitent la thématique du déchet que de façon distante, légère, comme une toile de fond. Ils témoignent encore une fois, de la dimension sensible, créative, collective et donc parfois incertaine du résultat de notre approche. Les participants amènent leur(s) personnage(s) là où bon leur semble, la thématique pouvant résonner comme un écho à leur histoire. 

Le mot de la fin

Pour nous, animatrices et animateurs de futurs proches, l’expérience compte autant, voire plus que le texte final. Nous sommes convaincus qu’à travers la discussion, l’échange, l’imagination et l’écriture à plusieurs, des petits changements dans nos représentations du monde naissent, se développent et finissent par polliniser nos entourages et paysages. La richesse humaine des récits co-créés, leur inventivité, témoigne de la capacité des participants à dépasser l’horizon pessimiste souvent dépeint dans l’actualité, et à inventer un futur désirable ensemble, sans occulter les contraintes de demain.