Alice s’émerveille

Récit imaginé par Léa, Delphine, Frédérique et Jessica, et facilité par Priscille Cadart dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 25/11/2021, en partenariat avec l’Eurométropole de Strasbourg et les Petites Cantines.

Thème de l’atelier :  Et si on imaginait un territoire dans lequel le mot déchet n’existe plus… ? 


De ma fenêtre, ou plutôt de la fenêtre de ma colocation, j’aime quelques fois observer cette dame mûre qui déambule sur sa terrasse. Sereine, ses magnifiques cheveux blancs relâchés, son visage affiche un regard satisfait. J’aime la contempler, cette femme aux rides rappelant les aventures de sa vie, la finesse de ses doigts et de sa peau, douce d’avoir trop aimé.

Je connais son nom, Alice. Alice comme un délice de sagesse. Alice et ses chansons un peu tristes, qui la nuit tombée crissent. Mais elle n’est pas seule, Alice. Je l’observe souvent dîner, le soir, avec ses colocataires. Ensemble, ils forment une merveille de patchwork multicolore. Il y a Juan, 18 ans, puis Rania, 35 ans et ses deux enfants Paula et Camille, mais aussi Memory, l’amie d’enfance d’Alice. Et puis Mario, le voisin, qui vient souvent cuisiner ses spécialités népalaises et montrer comment réparer le lavabo, revisser une roue de vélo avec les outils de la communauté.

Un vrai pays des merveilles, dont j’ai la chance de contempler les multiples détails, les significations, les reliefs.

Mais depuis quelques mois, Alice perd ses clés, oublie d’éteindre la lumière en sortant de sa chambre. Elle ne se souvient parfois plus du prénom de sa meilleure amie Memory, qu’elle connait pourtant depuis sa tendre jeunesse.

Elles ont pourtant fait les 400 coups ensemble, mais quand Memory lui en parle, parfois elle lui dit qu’elle n’a jamais vécu ça, que ce n’est pas arrivé comme ça.

Alice s’agace, s’agite et devient agressive, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Elle est d’habitude si bienveillante, toujours aux petits soins avec ses colocataires, toujours un mot gentil, une oreille attentive pour les plus jeunes de la résidence. Face à ce constat, Memory décide d’accompagner Alice chez son médecin, Gérard. Lui aussi connaît Alice depuis longtemps. Et pour lui, il n’y a pas de doute, Alice souffre de la maladie d’Alzheimer, elle perd progressivement sa mémoire, sa mémoire immédiate et également ses souvenirs qui s’effacent lentement. Le verdict tombe comme un couperet et déstabilise Memory.

Un matin au réveil, Alice, déboussolée, cherche dans son sac son porte-monnaie et sa carte bancaire. Paniquée, elle pense qu’on lui a volé son portefeuille, son ordinateur portable, son téléphone, sa montre à gousset, sa robe bleue.. Elle ne sait plus où elle est, qui appeler, comment payer un Uber. Elle a faim, elle n’a pas de réfrigérateur, elle ne peut pas aller acheter de courses. Or, les réfrigérateurs n’existent plus et les Uber ont progressivement disparu pour laisser place à des systèmes de livraison à mobilité douce. Elle sort alors de sa chambre en pleurant et en tremblant quand soudain un homme vient à sa rencontre.

Mario, le voisin du premier aperçoit Alice dans ce désarroi. Il comprend que ça ne va pas. Il s’approche d’Alice, la prend dans ses bras. Ils sonnent la cloche et tout le monde se rassemble pour entourer Alice. Elle se sent mieux, elle comprend que cela ne servait à rien de paniquer, elle se rappelle alors qu’elle est dans un monde rempli d’amour, de bienveillance, où chacun prend soin de son prochain. Et voilà, c’est le moment idéal pour prendre un thé tous ensemble, avec Charles le chapelier, Memory la maçonne, Léa la conteuse, Eric le pianiste philosophe et tous les autres membres de la communauté dont la plupart exercent le métier de « touteur », c’est-à-dire des individus touche-à-tout, aux multiples expertises. A ce moment précis, le temps n’existe plus et semble figé dans une éternité bienheureuse. « Et si on jouait à la bataille ? » s’exclame alors Alice, en montrant la Reine de cœur.

Bref, Alice est au pays des merveilles !