26 Mar Myosodia
Récit imaginé par Julia Vergon, Noa Coigny, Delphine Quiquerez, Jefferson Batista et Dania Schenal dans le cadre des ateliers futurs proches de décembre 2021 en partenariat avec la HES du Valais – Filière tourisme
Thème de l’atelier: Et si nous imaginions le tourisme de montagne en Valais en 2050 ?
Plus d’information sur les ateliers ici: https://futursproches.com/le-tourisme-de-montagne-en-2050-retour-dexperience/
En 2053, nous venions d’emménager avec papa à Anzère depuis une année. Nous étions enchantés par notre nouveau style de vie qui avait radicalement changé, ayant troqué la ville anxiogène pour la montagne régénérante. Lorsque nous habitions encore à Lausanne, papa avait souffert d’un sévère burn-out. À la suite de cela, nous avions décidé d’emménager en montagne, ceci afin de nous éloigner du stress quotidien et de retrouver un meilleur équilibre de vie. Ici, tout était beaucoup plus vert qu’en ville et l’atmosphère était beaucoup plus détendue, les gens étaient moins nerveux et tout le monde se saluait dans la rue. Les anciens parkings avaient été transformés en espaces verts et en jardins, et les hôtels all inclusive en hébergements collectifs. C’est d’ailleurs dans ces résidences que nous vivions avec papa. Madame Jeanne et Monsieur Guillaume étaient nos voisins. Elle était ingénieure environnementale et lui était vétérinaire faune sauvage. J’entretenais un lien particulier avec Madame Jeanne. Ayant perdu ma maman quand j’avais trois ans, elle avait en quelque sorte pris sa place dans mon cœur. Nous cuisinions ensemble des confitures, avec les baies provenant des jardins partagés du village. Elle me parlait de sa jeunesse d’autrefois, à Anzère, et me racontait comment le village avait contrôlé le tourisme de masse à l’aide de quotas et interdiction d’accès aux montagnes pour les touristes. Je l’admirais tellement Madame Jeanne…
Les mois passaient et nous prenions gentiment nos marques à Anzère. Avec papa, nous allions nous balader dans les montagnes avec le bétail qui profitaient également des prairies. Comme nous l’avait indiqué Madame Jeanne lors de notre emménagement, nous devions partager le territoire des animaux car nous étions leurs invités et ne devions pas leur imposer notre présence. Je me souviens avoir trouvé cette remarque plutôt surprenante car en ville, les animaux qui sont dans les cages géantes sont au service des Humains. J’ai pris conscience après ces mois passés à Anzère, de la sur- importance qu’avait le matérialisme en ville. A ce moment-là, j’ai compris l’importance des choses simples dans la vie, d’un bonjour dans la rue, d’un sourire chez le grossiste de légumes et d’une balade avec mon papa dans les montagnes.
Un jour d’été, lors d’une balade, j’ai remarqué que mon souffle se faisait plus fort et que je peinais à respirer. D’abord, je pensais que c’était passager. Je me suis dit : ‘’C’est un simple coup de fatigue, cela va passer.’’. Puis un jour, nous sommes partis en randonnée avec papa. D’habitude, c’était toujours moi qui le semais, mais cette fois ne ressemblait pas aux autres. Il a remarqué que quelque chose n’allait pas. C’est à ce moment que je lui expliqué que cela faisait plusieurs semaines que je ne me sentais pas bien. Au-delà du souffle, j’avais également des douleurs au nez et à la gorge. Cela a commencé à m’inquiéter car je sentais que ce n’étais pas des maux qui m’étaient familiers. J’ai remarqué l’expression inquiète sur le visage de papa. Depuis le décès de maman, notre relation avait évolué. Nous étions plus proches, et avions pris conscience de l’importance des relations humaines.
Un jour, Madame Jeanne et Monsieur Guillaume nous ont invités à pic niquer dans leur magnifique verger. Là-bas, il y avait des fleurs de toutes sortes et des pommiers qui donnaient des fruits succulents. L’espace d’une journée, nous avions l’impression d’être au paradis et nous oubliions tous nos problèmes. Lors de ce piquenique, j’ai commencé à éternuer et ma gorge avait enflée à tel point que ce n’était plus supportable. Nous nous sommes donc rendus aux urgences par peur que je ne puisse plus respirer. Après deux heures de consultation, de prises de sang et de conversations avec les docteurs, le verdict est tombé : j’avais une maladie rare due à la surexposition au pollen.
Je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait, mais je n’ai jamais oublié l’expression de papa quand il a appris la nouvelle. La dernière fois que je l’avais vu comme ça, c’était le jour où il m’avait annoncé le décès de maman.
J’étais désemparée, je ne comprenais pas ce qu’il se passait, Madame Jeanne et Monsieur Guillaume, qui nous avaient accompagnés, me regardaient avec pitié. Papa avait le regard vide. Nous sommes restés là, dans cette salle d’attente, pendant une heure à ne pas savoir quoi dire. Nous nous sentions impuissants. Madame Jeanne est allée parler avec le docteur afin d’en savoir plus sur cette mystérieuse maladie. Ils ont discuté pendant au moins une heure. On pouvait entendre les voix s’élever par moments mais cela ne m’étonnait guère, car Madame Jeanne n’était pas du genre à se laisser faire.
En sortant du bureau et pleine de détermination, Madame Jeanne nous a rejoint et m’a dit : « Je vais faire tout ce que je peux pour te sauver ! ». Elle est ensuite sortie des urgences en trombe et a dit qu’elle avait quelque chose à faire au bureau. Nous ne comprenions pas du tout ce qu’il se passait, donc nous avons fini par rentrer. C’est quelques jours plus tard que nous avons appris que Madame Jeanne était partie effectuer des recherches afin de trouver un remède.
Les semaines qui ont suivis étaient très pénibles. Je ne pouvais plus sortir car il y avait des fleurs partout et c’était trop dangereux pour moi. Je n’allais plus à l’école, mais mes camarades m’amenaient les devoirs à la maison. Papa, lui, restait fort pour moi, mais au fond je remarquais bien qu’il craignait autant que moi. Madame Jeanne venait régulièrement et ils parlaient pendant des heures dans le bureau. Je n’avais pas le droit d’y participer mais je connaissais très bien le sujet de la conversation… ça a duré pendant des mois.
Un matin, j’entendais des gens parler dans la cuisine. Lorsque je suis allée voir, j’ai vu Madame Jeanne, Monsieur Guillaume et papa assis. Etonnamment, ils n’avaient pas cette pitié dans les yeux comme les autres jours, c’était plutôt de l’espoir.
Ils m’ont demandé de m’assoir, je ne comprenais pas ce qu’il se passait, c’était inhabituel de voir Madame Jeanne et Monsieur Guillaume de si bon matin. Je me suis assise et c’est à cet instant qu’ils m’ont annoncé une nouvelle que je n’attendais plus, celle à laquelle je rêvais toutes les nuits depuis le terrible jour où j’ai appris que j’avais la Myosodia : il y a un moyen de me sauver !
Ces sept mots ont fait l’effet d’une bombe. Un torrent d’émotions s’est emparé de moi : la joie, le soulagement, l’espoir. Après des mois de recherches, Madame Jeanne m’a expliqué qu’il existait une plante rare dans nos montagnes qui avait le pouvoir de guérir Myosodia. Elle se trouvait malheureusement à un endroit difficile d’accès, mais Madame Jeanne avait contacté des collègues et elle aurait un moyen d’y accéder. Malheureusement, ça ne serait pas sans risque.
Ce sujet a fait débat autour de la table, je ne voulais pas que Madame Jeanne risque sa vie pour aller chercher cette plante. Je préférais vivre toute ma vie dans ma maison plutôt que de la perdre, elle, ma maman de cœur. Monsieur Guillaume était de mon avis, c’était totalement compréhensible, personne n’a envie de perdre l’amour de sa vie. Papa, lui, était du côté de Madame Jeanne, à une seule condition : qu’il l’accompagne. A l’entente de cette phrase, une peur indescriptible m’est venue : prendre le risque de perdre papa ET ma maman de cœur ?! Je n’allais pas le supporter.
Pendant trois heures, nous avons essayé de trouver une solution qui convienne à tout le monde. Entre Madame Jeanne qui voulait absolument me sauver, Monsieur Guillaume qui n’osait pas être contre, par compassion pour moi, et mon papa, déterminé à grimper sur cette montagne. Madame Jeanne a eu raison de nous tous, elle a toujours su être très convaincante, ce qui avait tendance à m’agacer par moment.
Madame Jeanne a ensuite pris la décision d’inviter son collègue guide de montagne à nous rejoindre. Nous avons ensuite passé toute la journée à organiser l’expédition, peaufiner le moindre détail.
L’ambiance était particulière, entre espoir, hâte et peur. C’était décidé, Madame Jeanne et le guide allaient partir la semaine suivante de bon matin. Ils auront des radios avec eux en cas d’urgence. Mais nous savions qu’il ne serait plus possible de communiquer avec nous à une certaine altitude. Le soir, nous nous sommes détendus et avons passé un moment agréable tous ensemble. Une sorte de bulle qui nous faisait oublier la raison pour laquelle nous nous étions réunis.
Le jour J est arrivé. Je vous avoue que je n’avais pas fermé l’œil de la nuit, des milliers de scénarios tourbillonnaient dans ma tête, avions-nous pensé à tout ? Et s’ils ne revenaient pas ?
Nous nous sommes tous retrouvés chez Madame Jeanne et Monsieur Guillaume avant le grand départ. Madame Jeanne préparait les derniers détails pendant que le guide de montagne regardait la météo. Monsieur Guillaume, sans voix, avait du mal à contenir son appréhension, il faisait les cent pas dans le salon et s’assurait que Madame Jeanne n’avait rien oublié. Mon père et moi étions assis sur le canapé, la tête pleine d’espoir. Nous nous sommes tous fait une dernière accolade avant le grand départ. Une fois qu’ils étaient partis, nous sommes restés avec Monsieur Guillaume, nous avions besoin de rester ensemble. Nous recevions des nouvelles environ toutes les deux heures, tout se passait comme prévu.
Le lendemain, nous n’avions plus de nouvelles, cela signifiait donc qu’ils étaient très haut en altitude. C’était une journée très longue car nous ne savions pas s’ils allaient bien. Monsieur Guillaume était tendu. Normalement, Madame Jeanne et son ami devaient être de retour en fin de journée, il était 19h et ils n’étaient toujours pas là. Nous étions tous assis à fixer l’horloge car nous n’avions pas la tête à faire autre chose.
Soudain, nous avons entendu une voiture s’arrêter devant la maison, nous sommes allés voir, si c’était la police. Monsieur Guillaume était le premier à sortir, papa et moi étions à l’intérieur et l’avons entendu crier. Nous avons tout de suite imaginé le pire. Nous nous sommes précipités dehors et l’avons vu prendre Madame Jeanne dans ses bras et l’embrasser avec fougue. A côté de Madame Jeanne, l’ami guide amenait un bocal avec la plante à l’intérieur. Je n’ai pu retenir mes larmes, à cet instant, mon père m’a prise dans ses bras tout aussi soulagés que moi.
Quelques jours plus tard, Madame Jeanne nous a donné rendez-vous dans son laboratoire pour le moment fatidique. Elle m’a donné un liquide infect à avaler. Le verre était grand et j’avais du mal à le boire tellement l’odeur était nauséabonde. Une fois ingéré, il n’y avait plus qu’à attendre pour voir les effets.
Pour confirmer l’efficacité du remède, j’ai commencé à sortir me balader, à nouveau… Chaque jour, de plus en plus longtemps. Ça a pris du temps, mais plus les jours avançaient, plus je pouvais profiter de l’air frais et des magnifiques paysages. J’ai enfin pu retourner à l’école et revoir mes amis.
Quant à Madame Jeanne, elle a reçu une récompense de la part du canton car elle a réussi à faire avancer la médecine. Grâce à elle, de nombreuses personnes ont pu bénéficier du remède à base de plante et donc ont pu retrouver leur liberté.
Madame Jeanne est aujourd’hui, encore ma voisine et étant âgée de 80 ans, c’est moi qui prends désormais soin d’elle.