La voie d’or

Récit imaginé par Angel Ip, Cathie Malhouitre, Delphine Maraninchi, Karim Ladraa, Pablo Bedek, et facilité par Cédric Liardet dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 24 novembre 2022.

Thème de l’atelier : « Et si la décroissance était notre quotidien ? Nous sommes en 2039. La mobilité est fortement contrainte. Dans ce contexte…. »


Jour 1

C’est parti, je suis sur les routes avec la troupe Ker Nomad, qui m’a proposé de les rejoindre dans leur voyage jusqu’à Lorient ! J’en reviens pas, je quitte enfin la maison ! Un vent de liberté souffle en moi : des années que je suis coincée dans la banlieue, à croiser les mêmes têtes… Quand je pense que mes parents ont grandi dans un monde où le voyage était si simple d’accès. Une autre époque. Pour voyager, moi, je n’ai que les livres et leurs souvenirs… Ma vie, c’est aller à l’école du voisinage, retrouver des amis, lire. J’aime bien chanter sur la route. Rien de très excitant cependant…
Quand j’écoute leurs histoires, il y a tant de choses qui me font rêver : on parle de l’Europe, de l’Italie, de la Suisse. Même Paris me paraît exotique ! Partir, c’est vraiment la promesse de découvrir un autre monde. J’en profite donc pour commencer ce carnet pour vous faire voyager, vous aussi : je m’appelle Elisa, et je viens d’Eguilles. Nous sommes le 24 mars 2039 et il fait 38°.

Jour 2

J’ai parfois l’impression que l’arrivée de la troupe de musiciens dans mon village était le moment que j’avais toujours attendu.
Evidemment, depuis que j’avais découvert qu’ils allaient passer à Eguilles, je trépignais d’impatience. Pas seulement parce que ce type d’événement ne se produit plus que rarement de nos jours, mais surtout parce que je connaissais cette troupe.
Pas personnellement, mais par l’intermédiaire d’un flyer que ma grand-mère avait gardé précieusement dans une enveloppe, elle même glissée dans son livre préféré. Quand mon père m’avait donné ce livre, je l’avais d’abord dévoré, puis je l’ai relu de nombreuses fois par la suite, en essayant à chaque fois d’imaginer qui était ma grand mère, mais aussi la vie qu’elle avait eue. Les voyages, voler en avion, rouler à 100km/h de nuit avec les fenêtres ouvertes… et la sensation de liberté qui pouvait en découler.
C’est sans doute pour ça que j’ai tout fait pour aller assister à la première représentation de Ker Nomad, et que j’ai même accepté de jouer le jeu quand ils m’ont désignée volontaire pour les rejoindre sur scène.
J’ai toujours chanté en marchant. Il est vrai que la marche représente une grande partie de mes journées, faute d’avoir d’autres moyens de transport à disposition, et mes compétences en chant se sont donc naturellement développées.
Mais je n’aurais jamais pensé avoir tant de succès, et encore moins que la troupe me propose de partir avec elle pour chanter, me plaçant ainsi devant une décision terrible à prendre.
J’ai pourtant très vite décidé d’accepter leur proposition quand j’ai appris que leur destination était Lorient ! C’est là que vivait ma grand-mère, et c’est aussi de là que la troupe part chaque année pour sa tournée.

Jour 3

Un imprévu s’est glissé dès les premiers jours de notre voyage. Notre cheval qui a tracté la carriole pendant de nombreuses années est tombé malade. Je pense qu’il n’a rien de grave, mais le vétérinaire nous a dit qu’il était temps pour lui de prendre sa retraite. Je ne sais pas encore comment on va pouvoir continuer notre métier de musiciens sans moyen de locomotion. Nous n’avons pas assez de sous pour nous acheter un jeune cheval. Un villageois nous a informé qu’une caravelle de marchands part dans deux jours du port de Marseille et se dirige vers la Bretagne. Ils pourraient nous emporter avec eux à condition que nous arrivions à temps au port de Marseille mais c’est pas gagné avec tout le matériel que nous transportons dans la vielle carriole. J’espère vraiment qu’on trouvera un moyen de s’y rendre, sinon c’est retour chez mes parents !

Jour 4

Après un départ à l’arrache, où je n’imaginais pas la difficulté de quitter mes parents, et mes animaux, maintenant il faut encore affronter le départ de Sami, le cheval.
Donc on marche, le sac est lourd, on dort l’après-midi, et on marche le soir à la fraîche quand il ne fait que 28°. En plus des répétitions aux aurores, la fatigue s’accumule.
Après 10 km, on trouve un véhiculiste qui nous propose 1 vieille voiture pour gagner le port de Marseille. Ça nous coûte bonbon en monnaie carbone ! Mais on décide de faire les 30 derniers km avec cette vieille voiture. Sincèrement, l’odeur de l’essence m’a enivrée… Bertrand, mon voisin-parrain, me gavait avec ses histoires de voitures, mais je me surprends à me projeter dans son ancienne vie.
L’important c’est d’arriver à Marseille où un bateau nous permettra de poursuivre la route. Mais j’ai tellement peur de l’eau !
J’adorais la vie à Eguilles, mais je n’ai jamais vu la mer, nager dans les vagues ça doit être terrible.

Jour 79…

Deux mois ! Deux mois déjà, que nous naviguons tous les 7 sur notre fière embarcation. Je n’ai plus le mal de mer. Je n’ai plus le mal de rien d’ailleurs.
En regardant l’horizon, et la mer infinie, je me sens libre et heureuse.
Après toutes ces péripéties, toutes ces aventures ensemble, je n’ai plus envie de revenir à Eguilles, du moins pas tout de suite. Et si le voyage, être en mouvement, lentement, en sirotant le temps, était le sens de ma vie ?