La recette de ma Transition

Récit imaginé par Antoine André, Céline Lagrive, Eliane Perrottet, Elisabeth Roulin, et facilité par Marie-Luce Storme dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 13 novembre 2022 pour Morges et Région en Transition.

Thème de l’atelier : « Et si Morges et région adoptait une politique de post-croissance ? »


Je me sentais mal. Je n’avais plus goût à rien. Je ne savais pas quoi faire de ma vie depuis que Ludovic était tombé de son piédestal. Il a trahi tout le monde et ce faisant, il a brisé l’estime que j’avais pour lui. Sa réputation dans cette usine, où il avait la responsabilité de plus de 200 employé.e.s, est également perdue, définitivement. Sa gestion irresponsable et aveuglée par le profit a rendu l’eau de la Morges extrêmement toxique, ce qui a eu un impact considérable sur le Lac Léman. Des scientifiques l’avaient pourtant prévenu des risques mais il n’avait jamais écouté !

En tant que femme de cadre, j’en ai été profondément humiliée et ma vie a basculé. La situation florissante, le cocon familial, l’aveuglement naïf dans lesquels je vivais se sont brisés. Et j’ai perdu mon travail. Je ne pouvais assumer le regard d’autrui et ma honte dans cette position de manager des investissements de cette grande banque à la réputation internationale qui était liée à l’usine de Ludovic. J’ai donc été poussée vers la sortie. Sans ressources et sans respectabilité, mes journées se vidaient de leur sens, j’errai sans but.

Chaque jour, sans réellement savoir pourquoi, j’allais au parc de l’Indépendance. Je n’avais rien à faire, je n’avais plus d’argent mais au moins, au parc, je pouvais laisser libre cours à mes pensées sans qu’elles ne me submergent et tenter de comprendre ce qui m’arrivait. Mon cœur était lourd et sombre.

Je remarquais, dans le fond du parc, une grande ferme, avec toutes sortes de gens qui venaient y travailler. Elle n’était pas comme les fermes bien rangées que j’avais toujours connues. Elle était foisonnante, brouillonne, pleine de vie. Les plantes poussaient en tout sens, les herbes folles y étaient les bienvenues, le parc avait beaucoup changé ces dernières années. Cela m’intriguait.

A distance, j’observais quotidiennement et pour quelques instants ce grand manège, tout ce travail me semblait bien rude et si avilissant. Pourtant, je remarquais que les personnes qui y travaillaient arboraient des sourires sereins et chaleureux. Ils riaient, s’encourageaient et déterminés, ils semblaient habités par une mission claire. Je n’osais pas m’approcher. Je me sentais attirée, mais j’avais peur. Ce monde n’était pas le mien. Je ne connaissais rien de leurs codes. J’étais si différente d’eux. Et surtout, ils semblaient représenter tout ce que j’avais combattu dans mon parcours politique, que pourrais-je bien leur dire ? Et puis, comment un tel endroit pouvait-il fonctionner dans cette anarchie apparente ? Non. Tout cela n’était décidément pas pour moi.

Une après-midi, la petite ferme était à la fête. Les gens chantaient, dansaient, jouaient de la musique et de délicieuses odeurs de nourriture s’échappaient en volutes gourmandes. De grandes banderoles annonçaient qu’il s’agissait de la Fête des Récoltes. Je l’observais de loin, en essayant d’être discrète. Mais une adolescente avait remarqué mon petit manège de ces dernières semaines et s’avança vers moi, un grand sourire aux lèvres. Elle m’invita à me joindre aux festivités, ce que j’acceptai. Elle m’offrit un grand bol de soupe de légumes fumant.

Ces saveurs succulentes me ramenèrent un vieux souvenir d’enfance oublié. Lorsque j’avais 6 ans, moi et ma grand-mère tant aimée, avions fait la récolte de son potager et avions passé l’après-midi à nous amuser en apprêtant toutes sortes de choux, céleris, oignons, carottes et autres légumes aux couleurs diverses dont je ne connaissais même pas le nom. L’abondance, la joie et la magie partagée entre nous à cet instant ressurgirent par mon cœur, m’envahirent tout le corps et une larme fini par couler sur mon visage…

Et si la vie était faite pour créer cette magie de couleurs et préserver ces simples moments de bonheur?