Fin de semaine au quartier des abeilles

Récit imaginé par Philippe Guoyt, Sophie Marotel, Claire-Emilie Lecocq et facilité par Delphine Ekszterowicz dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 14 octobre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie.

Thème de l’atelier:  Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginons le quotidien de citoyen.ne.s dans ce futur proche ? 


La journée avait été plutôt belle. Miss Hope était sincèrement heureuse de la rencontre avec l’équipe municipale, et c’est d’un esprit léger qu’elle se dirigeait Rue des marguerites, pour être là au moment de la fin de l’école pour les enfants. François était avec 2 camarades, occupé à finir de semer une rangée de navets d’or.. Les parents étaient déjà nombreux, devant la petite barrière. Les 3 enseignants qu’elle connaissait bien discutaient avec 2 élèves. François déjà passionné par la vie des abeilles, avait de lui même choisi Miss Hope comme « marraine référente ». Dans tout le quartier sa réputation de « Mama aux abeilles » était bien établie. Ses ruches étaient installées sur la terrasse sommitale de son immeuble. Elle avait installé 3 ruches pédagogiques avec parties de façades vitrées et compléments explicatifs, en sus de la dizaine de ruches productives. Avec la multiplication des potagers partagés alentours, et la végétalisation d’une partie des façades, les ouvrières étaient fort productives, et contribuaient grandement à la réputation de Miss Hope dans le quartier.

Alors que Miss Hope s’approchait de la barrière, rejoignant ainsi papas, mamans et grands parents, François relevait juste la tête, heureux d’avoir atteint la fin de la rangée….

François aperçevait sa marraine et lui souriait. « Dis, on pourrait aller voir les ruches ensemble ? Je voudrais prendre des photos pour mon atelier inter-école. » « Bien sûr, on attend que tes parents arrivent et on y va. »Alors que François saisissait la main de Miss Hope et se dirigeait vers l’escalier de l’immeuble, un bruit inhabituel attirait son attention : le moteur ronflant d’une voiture ! Depuis que la région a décidé de limiter la vitesse des véhicules individuels à 50 km/h (et 30 dans les villes), nombreux sont les propriétaires de voiture à avoir opté pour la propriété partagée, voire même à ne se déplacer plus qu’en transports collectifs. 

François lâchait sa main et se précipitait vers l’homme qui sortait de la voiture : « Papa ! » 

– Tu ne sais pas, aujourd’hui on a planté des navets boule d’or, et avant ça notre voisine Virginie est venue nous faire un atelier de récup-low tech, et regarde j’ai fait une horloge qui ralentit quand on s’amuse et qui accélère quand on s’ennuie, et…

– Oui bon tu me raconteras ça plus tard, va dire au revoir à tes copains, on y va. 

– Mais Miss Hope devait me montrer les abeilles sur son toit…– On n’a pas le temps, il nous reste encore deux heures de route avant d’arriver au chalet. Dire qu’on a troqué les bouchons contre cette fichue limitation de vitesse.

– Mais Papa…

– Ça suffit, on ne discute pas. Et tu as vu ton pantalon, il est plein de terre !Silencieuse depuis le début de la conversation, Miss Hope tentait d’intervenir.

– Bonjour Monsieur, comment allez-vous ?

– Pressé. Tout le monde n’est pas libre d’aller s’amuser avec les abeilles. 

L’attaque fait sourire Miss Hope. Comparer les activités soi-disant productivistes, réflexe de l’ancien monde qui ne lui avait pas manqué. Après avoir échangé nerveusement avec Miss Hope, le père de François tirait son fils par l’épaule en l’emmenant dans la voiture. François, entraîné par son père, montait rapidement dans le véhicule, et ils continuaient leur périple. Suite à un problème technique de moteur, le père de François décida de suivre son fils, qui le réclamait à participer à l’activité sur les abeilles. Alors que Miss Hope leur montrait l’incroyable beauté des abeilles et leur manière de vivre et de cohabiter entre elles, le père de François ressentit alors tout d’un coup un déclic.

– « Ouah, c’est incroyable ce que peuvent faire les abeilles, c’est la première fois que j’assiste à une situation aussi magique, aussi inhabituelle !  »

– « Tu as vu Papa comme elles sont mignonnes les abeilles, j’ai eu raison de t’emmener les voir ? « 

En observant la nature et la douceur des animaux, le père de François se rendit compte que son travail était tellement prenant et intense, malgré du temps libre supplémentaire, qu’il ne profitait pas des moments importants dans sa vie. Son fils grandissait, ses proches évoluaient, et il avait l’impression de manquer ces temps essentiels. Son métier le cantonnait dans un moule, un moule imposé de manière informelle par les dernières traces de la société productiviste. Il avait désormais envie de changement, il ne savait pas exactement lequel mais il ressortait de cet atelier avec un questionnement intérieur, celui de redonner du sens à sa vie.