08 Août Deux récits de l’avenir se dessinent
Le passé nous a montré à quel point les humains sont capables de collaborer pour faire face aux grandes transformations du monde et bouleversements de l’histoire. Pourtant, aujourd’hui, peut-être plus que jamais, il semble que nous soyons incapables de nous projeter dans des solutions au plus grand des défis qu’a rencontré l’humanité : sa survie.
Aujourd’hui, deux grands récits se dessinent quant au futur de l’humanité et de la planète, récits difficilement conciliables et l’un comme l’autre inquiétant.
Singularité
Ce récit, séduisant pour certains, effrayant pour d’autres, est la continuité logique de la révolution scientifique et industrielle des siècles passés, porté par les croyances en des récits de croissance et de progrès. C²’est la même dynamique qui laisse voir que les technologies permettront de résoudre les problèmes écologiques de la planète (bio-ingénierie, green IT, énergie renouvelables, alimentation de synthèse, éco-construction, smart cities, clean tech…) ou de la fuir (colonisation de planètes).
D’un côté, se dessine un monde profondément technologique et ultra-connecté dans lequel la place de l’humain pourrait se voir dépassée par ses créations. Cette vision de notre avenir dessine l’idée d’un dépassement de nos limites reposant sur la croyance que notre espèce trouvera toujours les capacités à survivre et résoudre les problèmes lui faisant face, y compris écologiques. Il ne s’agit plus de science-fiction, mais d’une réalité à venir dans laquelle se projettent nombre de scientifiques et industriels : les progrès de l’intelligence artificielle (à grand renfort de big data et d’apprentissage machine de plus en plus performant) rendent les technologies engendrées par l’homme de jour en jour plus perfectionnées et autonomes si bien qu’elles dépassent déjà certaines capacités humaines. Certains s’enthousiasment à l’idée de voir Homo Sapiens évoluer vers une forme de cyborg, songeant au possibilités de recul de la mort voire à un accès à l’immortalité (notre conscience se téléchargeant sur des machines). L’humanité laisserait la place à une trans-humanité ou une humanité augmentée. D’autres s’en inquiètent prédisant que l’autonomie croissante des technologies fait qu’elles nous échapperont et prendront un empire de plus en plus grand sur l’homme. Celles-ci, devenant des dispositifs super-intelligents, acquerront une conscience grâce à laquelle ils agiront par eux-mêmes mais aussi pour eux-mêmes. L’homme sera alors condamné à s’hybrider à la technologie pour parvenir à survivre, si elle y parvient. Plus noir encore, certains imaginent une post-humanité dans laquelle l’époque humaine cédera la place à ces dispositifs prenant la suite dans la grande chaîne de l’évolution. Ce moment critique auquel les capacités humaines se verront dépassées par celles des machines au point qu’elles menaceraient l’humanité porte le nom de “singularité technologique”.
Effondrement
Un autre récit trouve de plus en plus d’écho dans le monde occidental, celui de l’effondrement de nos civilisations face à notre incapacité à diminuer ou tout du moins à limiter nos activités destructrices des écosystèmes. Décroissance, effondrement, résilience, voire résistance, bref d’autres mots pour imaginer un autre futur.
Selon Yves Cochet, ancien ministre de l’environnement français et président de l’institut Momentum, « la période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécu l’humanité en si peu de temps. A quelques années près, elle se composera de trois étapes successives: la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début d’une renaissance (2040-2050). » (Devant l’effondrement, essai de collapsologie, 2019).
La première étape pourrait aussi être dénommée « l’acmé et l’effondrement de la civilisation industrielle », ce dernier étant possible dès 2020, probable en 2025, certain vers 2030. […] Au delà de la profonde perturbation de la dynamique des grands cycles naturels du système Terre, une autre cause parallèle renforce cette avancée vers l’effondrement. Il s’agit du système de croyances actuellement prédominant dans le monde: le modèle libéral-productiviste. Cette idéologie est si prégnante, si invasive, qu’aucun assemblages alternatif de croyances ne parvient à la remplacer tant que ne s’est pas produit l’évènement exceptionnel de l’effondrement imminent, dû au triple crunch énergétique, climatique, alimentaire.
La deuxième étape, dans les années 2030, s’annonce comme la plus pénible, compte tenu du brusque abaissement de la population mondiale (à cause des épidémies, des famines, des guerres), de la déplétion des ressources énergétiques et alimentaires, de la perte des infrastructures et de la faillite des gouvernements. Ce sera pou r l’humanité une période de survie précaire et malheureuse au cours de laquelle l’essentiel des ressources nécessaires proviendront de certains restes de la civilisation industrielle. […]
Sans doute, peut-on espérer que s’ensuivra, autour des années 2050, une étape de renaissance au cours e laquelle les groupes humains les plus résilients, désormais privés des reliques matérielles du passé, retrouveront à la fois les techniques initiales de sustentation de la vie et de nouvelles formes de gouvernance interne et de politique extérieure susceptibles de garantir une assez longue stabilité structurelle, indispensable à tout processus de civilisation. »
L’envie d’explorer, voilà ce qui nous anime.
Singularité ou effondrement, la place de l’homme va être bouleversée dans les décennies à venir. Il nous revient d’imaginer cet intervalle et cette renaissance dont parle Yves Cochet.
« Nous devons donc préparer l’après effondrement. Le moyen le plus puissant de calmer l’angoisse et de donner de l’énergie à ceux qui pourraient construire la résilience dès aujourd’hui ou à ceux qui survivront aux chocs demain est certainement des fictions fondées sur la coopération, imaginant un monde post-catastrophe qui ne soit pas uniquement dystopique mais où les humains apprendraient de leurs erreurs et imagineraient de nouvelles façons de vivre. » (Cyril Dion, Petit traité de résistance contemporaine).