Bilan de mandat du vagabond fringuant

Récit imaginé par Myriam Ouddou, Anne Tournel, Louis Gaillard, Marc TINCRY et facilité par Fiona Gamer, lors de la soirée futurs proches consacrée à la ville de Lyon le 7 mai 2020.


Bonjour à tous, bonjour à toutes, c’est avec beaucoup d’émotions que je me présente devant vous ce soir au terme de mon mandat d’élu du 3ème arrondissement de Lyon. J’aimerais vous raconter une histoire,

C’est avec beaucoup d’émotions que je me présente devant vous ce soir au terme de mon mandat d’élu du 3ème arrondissement de Lyon. J’aimerais vous raconter une histoire, que beaucoup d’entre vous ne connaissent peut-être pas. Tout a commencé il y a maintenant 10 ans, je travaillais alors pour la Société Suisse.
Ah que j’étais bien tout là-haut, au vingtième étage de la Tour Suisse. Je dominais le centre moderne de Lyon, avec son quartier des affaires, ses hôtels de luxe, son argent, sa belle vie.!

J’avais un super job: barman spécialisé dans la préparation des cocktails les plus fantastiques, dans un espace de détente attenant à la salle de trading de la Société Suisse qui se trouvait à ce niveau. Elle était connectée « H24 » avec les places boursières du monde entier .Quand ils avaient réussi un bon coup financier, les traders venaient au bar et me commandaient des cocktails magiques. Je mixais les alcools , mélangeais les substances, je faisais mon cinéma! J’étais heureux, sapé comme un prince, et parfois, les traders s’amusaient avec moi, me prenaient par les épaules , me tutoyaient: c’était l’Amérique!!

Puis est arrivé mars 2020. Moi qui dépensais mon argent dans les boites de la Part Dieu ou dans les boutiques, toujours à toucher à tout, à essayer les belles fringues, à faire la bise aux vendeuses à tout va, je l’ai pris. J’ai pris quoi?
Le C.O.R.O.N.A. Un virus terrifiant à l’époque, 25000 morts. En plus j’ai eu droit à la version gravissime : coma artificiel, très forte insuffisance respiratoire réanimation prolongée, avec une complication rénale nécessitant une opération en urgence .Et là , dans la cohue des malades en sur-nombre avec la sur-activité des soignants et la saturation des services hospitaliers, j’ai manqué de chance: un léger défaut de stérilisation du matériel et j’ai contracté une infection nosocomiale pendant l’intervention . En peu de temps, le staphylocoque doré s’est insinué dans ma jambe droite et a dévoré mes nerfs. Douze mois d' »hosto ».

A ma sortie , ma jambe droite restait immobile; j’étais devenu handicapé en fauteuil . Entre temps, la bourse avait chuté. de 70%, et j’avais perdu mon emploi: « nécessité de remplacement » précisait ma lettre de licenciement.

J’errais alors dans la Part-dieu, sur mon fauteuil roulant, et je réalisai l’absurdité de mon quartier : des tours à perte de vue, des voix de circulation dans tous les sens, du béton, rien que du béton. Il y avait même un immeuble « parking » ou s’agglutinaient côté à côté des centaines de voitures. Objets inertes et destructeurs, qui occupaient la ville, à la place du vivant. Petit à petit, j’étais confrontée à la réalité de ma nouvelle situation : comment trouver à manger et à boire? comment me laver? ou être en sécurité?

Après avoir fait la manche pendant quelques mois, dépendant de la générosité des quelques consommateurs qui allaient refaire leur dressing, je décidais que ce n’était plus possible. J’étais certes en partie invalide, mais j’étais plus que jamais éveillé. Je n’aurais pas imaginé qu’il aurait fallu que je devienne si petit, face à ces géants de bétons, pour voir avec une limpidité effroyable le monde dans lequel je vivais. Après avoir fait la manche pendant quelques temps, je décidais de trouver des alternatives. J’avais, entre temps, fait connaissance avec d’autres personnes du quartier, qui comme moi, étaient tombés d’une tour. Il germait alors en nous un désir de plus en plus fort de changement. Comment nous, simples vagabonds, partiellement valides, pouvions nous changer ce quartier emblème de tous nos maux? Alors petits à petits, nous cherchions des alternatives. Aidés par des bénévoles, nous commencions à envahir les espaces verts et y planter des fruits et des légumes, à imaginer de nouveaux modèles de démocratie, à s’organiser pour reprendre un peu de pouvoir, à être moins dépendants du système mais néanmoins de plus en plus autonomes.

Nous n’étions pas seuls et je ne serai pas là aujourd’hui si des militants n’avaient pas, en parallèle, participé à faire évoluer les mentalités et les organisations en place. Sur fond de crises écologiques et sociales successives et de la pression de militants toujours plus nombreux, les élus du 3ème arrondissement décidèrent de créer une assemblée citoyenne pour recréer de la confiance dans le quartier. En 2022, j’ai été tiré au sort, et de vagabond, je suis devenu mandataire du pouvoir public. J’ai pu, avec votre aide à tous, mettre en oeuvre ces idées folles que nous avions partagé sur le Cours Lafayette. Rappelons nous, ensemble, de ce que nous avons construits.

Le chantier qui nous a guidé depuis le début, c’est la réappropriation de l’espace. Au fur et à mesure que l’ancien monde s’écroulait, il y avait des centaines de mètres carrés à récupérer et à transformer pour l’usage dont les gens avaient besoin.

Dans les espaces intérieurs, il fallait surtout loger des gens mais aussi créer des espaces de vie, des espaces conviviaux où on pourrait se retrouver, danser, etc. Au début ça se faisait assez naturellement, on écoutait les gens et on faisait en sorte que tout le monde soit satisfait. La démocratie s’est d’abord s’écouter et respecter la liberté de chacun.

Mais on a aussi voulu être plus ambitieux, et c’est la où la gouvernance démocratique a un rôle vital. Un jour on a eu l’idée de transformer l’ancien centre commercial en une mini ville avec ses ruelles, ses places, ses cafés, etc. On s’est retrouvé tous urbanistes. On a commencé à faire un plan et pendant tout un mois chacun pouvait noter ses idées et dessiner ce qui leur faisait envie.

Bon bref, je vais arrêter de radoter mes histoires. Voici ce que je voudrais vous dire, vous qui allez participer à l’avenir de ce quartier : n’oubliez jamais que c’est un écosystème, et un écosystème c’est un être vivant. Dans cet être vivant vous n’êtes ni écrasé ni perdu. Vous êtes à votre place, et votre place est vitale pour le bon fonctionnement de cet être vivant qu’on appelle société.

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