22 Fév Maël et Yohan: 2 éleveurs bretons en 2050

Récit imaginé par Angélique Dellys, William Dauvel, Véronique Schnoller, Robert Weis et facilité par Isabelle Guerry Buisine dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 22 février 2024 en partenariat avec ComProfiles.

Thème de l’atelier :  Et si en 2050, les dirigeants d’entreprises avaient fait le choix d’entreprendre en faveur de la transition écologique et de la préservation du vivant ?

Ils appartiennent à une famille d’agriculteurs, éleveurs de père en fils depuis 3 générations, dans une petite commune près de Morlaix. 

Yohan, suite à une prise de conscience lors d’un voyage en Inde, a arrêté de manger de la viande. Après à une période de réflexion, il a quitté la ferme familiale dédiée à l’élevage traditionnel de bovins, puis créé une ferme de bio impression de viande végétale. Son unité est auto suffisante en énergie et eau à l’aide d’un système de désalinisation de l’eau de mer qu’il récupère  à proximité. Les deux fermes, la sienne et celle de Maël, sont mitoyennes sur le domaine familial. 

Les 2 frères ne se parlent plus, sinon pour se disputer. Chaque jour est prétexte à tensions. Mael, l’aîné, est d’un caractère taciturne. Même s’il a mené d’importants changements dans ses activités, il reste attaché à un rapport traditionnel à la terre et vit mal cette cohabitation. Dès qu’il le peut, il glisse des peaux de banane dans l’exploitation de son frère Yohan. Ses vaches continuent de traverser les champs comme avant, y compris ceux de la ferme de Yohan . Tout est sujet de discorde.

…………..

Hier soir encore, ils débattaient âprement: 

Maël :

C’est moi qui suis le moderne de nous deux. Tu n’es pas un agriculteur, tu es un industriel qui casse toute la culture qu’on a toujours eue,  y compris les options nouvelles de permaculture que j’ai prises.

Je produis aujourd’hui une grande diversité d’animaux, à côté des vaches, des poules, des canards, des chèvres, des lapins, des abeilles, du fumier, du compost et de la gestion des déchets, des pâturages en rotation.

Mes systèmes sont durables, résilients et équilibrés et je fournis une alimentation de qualité.

Yohan :

Oui super, mais tu n’as plus d’eau ! 

Tu produis aujourd’hui 5 fois moins de protéines que moi et tu utilises 10 fois plus d’eau. Tu t’accroches à un modèle désuet !

Si tu utilisais l’intelligence artificielle tu pourrais optimiser tous tes processus de production et tes consommations.

Mael :

J’ai mis en place des formes d’irrigation au goutte à goutte et mes cultures sont super efficaces.

Yohan :

Si tu veux vraiment résoudre tes problèmes d’eau, viens voir comment nous produisons des solutions nutritives, sans sol. De cette manière, j’utilise 10 fois d’eau que toi. On peut comparer nos productions si tu veux et tu verras que les miennes sont plus goûteuses que les tiennes.

Mael :

T’es qu’un bouffon, mais ok, si tu viens visiter ma ferme, je viens voir ton usine !

Yohan :

Chiche !

………….

Quelques jours plus tard…

Tout à coup, sous le soleil de 12h, la sonnette d’alarme de Morlaix retentit aux oreilles de Maël, annonçant une pénurie complète d’eau. Il est vrai que le niveau des nappes phréatiques étaient déjà au plus bas, depuis Pâques. La sécheresse des derniers mois a dramatiquement aggravé la situation.

C’était déjà arrivé deux fois dans le passé, en l’an 2028 et 2036. L’exploitation de Mael avait souffert, les réserves stockées n’avaient pas suffi et il avait perdu la moitié de ses bêtes. 

Mael, en panique, s’empresse alors d’appeler son frère Yohan. Il s’égosille au téléphone: 

-Tu as entendu ? 

-Allo, oui, mais ça va aller, ici, notre système de production a déjà des niveaux d’eau maximum, merci. 

Mael a  la gorge serrée…

-Fais pas comme si t’avais pas compris. Si tu m’aides pas, les animaux ne vont pas tenir, tu le sais…

-Mael ! Je t’avais pourtant prévenu !…

-Oui, justement !, s’exclame-t-il. J’ai réfléchi à ton idée d’abandonner la production de viande, je pense que le moment est arrivé. 

Et il faudrait que tu me réexpliques tout ce que tu m’avais raconté sur la robotique et l’intelligence artificielle, je t’avais pas bien écouté…

-Pourquoi pas Maël, on a le temps. 

Ce soir, je t’amène une citerne d’eau désalinisée … 

Après de longs échanges, des désaccords, des idées partant un peu dans tous les sens, Yohan et Maël ont trouvé un accord qui va provoquer une réelle avancée dans leurs activités de production respectives, un projet innovant et ambitieux.

Maël va vendre à son petit frère les placentas à la naissance des veaux, car il a besoin des cellules souches pour la bio-impression des « steaks ». Ainsi il produira une viande « plus naturelle avec un goût de vrai » comme savent le faire les bretons. 

Avec cet argent, Maël va pouvoir investir dans des installations moins gourmande en eau, et peut-être aussi dans des services informatiques et des applications d’intelligence artificielle qui pourraient faire sensiblement évoluer ses activités de production.

Quant à ses vaches, elles seront destinées à une vie paisible dans les près. Des échanges avec son frère lui viennent plein de projets pour elles : pas seulement l’activité de reproduction, mais aussi leur utilisation pour la traction des charrues dans ses champs en permaculture, le développement de l’éco-pâturage pour l’entretien des espaces verts et des jardins du voisinage, et d’autres idées aussi.

Quelquefois, Maël se dit qu’il aurait mieux fait de rester fâché avec son frère : au moins, il avait l’impression que son avenir était plus stable et prévisible, moins excitant bien sûr … Surtout quand il pense à ses deux fils, qu’il aimerait bien voir reprendre la ferme, et qui pourraient enfin se montrer intéressés. Il aimerait quand même bien savoir où tout cela va le mener…

Et puis il se rappelle que ce qui compte le plus à léguer à ses deux fils,  c’est un monde avec de la vie et de la résilience, et que son choix va dans ce sens 🙂