24 Nov La Succulente
Récit imaginé par Maëva Cecillon, Gregory Loizon, Lou-anne Grange, Ryoma Novel, Emma Boroyan et facilité par Delphine Bondran dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 23 novembre 2023 en partenariat avec l’ADEME
Photo de Yousef Espanioly
Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050 dans le scénario 4 ?
« Dessinez moi un arbre ! »
Nous sommes à l’école primaire Novert, dans le centre-ville de Dijon.
La voix de Katniss Evergreen se répand aux quatre coins de la classe de CE1, sous l’oreille attentive des enfants. Les petits élèves suivent un cours d’arts plastiques sur le thème de l’imagination. Munis de leurs tablettes numériques, ils dessinent des formes, des traits. Certains sont plutôt préoccupés par le froid de la salle dans laquelle ils se trouvent, un froid accentué par la climatisation achetée récemment par l’établissement. Cela offre une atmosphère différente entre l’intérieur et l’extérieur, où la température atteint bientôt les 45 degrés. Et oui, l’école primaire Novert est l’une des mieux équipées de la ville de Dijon : climatisation, ordinateurs individuels, robots serveurs à la cantine… La technologie numérique et mécanique permet de faciliter l’éducation des enfants. L’école est également desservie par de multiples lignes de transports en commun.
« Maîtresse, je n’y arrive pas, c’est trop dur d’imaginer, vous pouvez nous aider ? » dit-un enfant embarrassé.
Du haut de ses trente années d’existence, Katniss regarde l’enfant tendrement et le guide ainsi :
« Tu sais, l’imagination est débordante, tu peux t’imaginer des plaisirs passés, des rêves féeriques. Etant plus âgée que toi, ça m’arrive parfois encore de penser à ce genre de choses. »
« Comme quoi par exemple, Maîtresse ? »
Katniss s’arrête un instant, pensive, puis reprenant d’un air nostalgique :
« Ah les enfants, il y a pleins de choses. Quand j’étais petite, je m’en allais souvent, les mains dans ma salopette trouée en direction de la ferme. Les oiseaux chantaient au rythme des cigales, le moulin fouettait le vent de plein gré, tandis qu’au loin on entendait la rumination des vaches dans le pré. La ferme, c’était ma source de liberté. Les plages regorgeaient de sables dorés, de coquillages multicolores accompagnés des ricanements des mouettes. Parfois aussi, sous le ciel, merveilleux, je voyais les nuages naturels, d’un blanc aussi blanc que la nei… Vous savez ce que c’est que la neige, les enfants ? »
La sonnerie retentit à ce moment même. La fin de l’épopée nostalgique se termine.
Sortant de la salle de cours, dans ce quartier huppé de Dijon, Katniss admire avec envie et espoir ces arbres, cette verdure qui lui tirent un sourire, mais de courte durée. Au fond d’elle, elle le sait, tout ceci n’est qu’illusion, le vent ne caresse pas les feuillages, les brindilles restent intactes, aucune feuille morte aux pieds de ces derniers. Alors elle continue son chemin vers le bus A1342 en direction du quartier de Grésilles, en repensant à ce cours plein de determination, utopiste pour certains mais regorgeant de possibilités et d’espoir de son coté. Elle revient vite à ses esprits, à l’arrivée à la station, indiquant « Trafic perturbé sur la ligne : temps d’attente estimé : 90 min … 120min 180min… ; causes : grève des conducteurs. ». A cette constatation, Katniss soupire de désespoir et décide donc de faire ce chemin à pieds. De toute façon elle veut passer chez Pierrick, son producteur de fruits et légumes, un des rares à ne pas vendre de produits de synthèse aujourd’hui.
Sur sa route, elle constate le déclin de cet environnement, sortant du quartier de son école et arrivant petit à petit proche de sa banlieue. La température devient de moins en moins supportable. Malgré cette chaleur, elle s’efforce d’avancer. Cette route qu’elle emprunte est de surcroît très peu conventionnelle : les trottoirs sont presque inexistants et les routes prennent la majeure partie de l’espace. Mais elle n’a pas le choix, la grève des conducteurs oblige cette marche rude et longue. Il commence à se faire tard, le peu de lampadaires de la rue grésillent, quand les ampoules ne sont pas déjà cramées. Si elle habitait dans les quartiers riches, elle n’aurait pas ce souci-la… Mais le sur-investissement de l’état dans ces technologies a creusé les écarts dans les modes et conditions de vie des citoyens. Malheureusement, Katniss constate une fois de plus qu’elle ne s’est pas retrouvée du bon coté. Enfin ! Elle arrive chez Pierrick, transpirante et essoufflée de la route. « Salut Katniss, que veux-tu aujourd’hui? J’ai reçu tes épinards que tu attendais tant ! et j’ai une petite surprise pour ton chat ! » cette annonce lui redonne le sourire, et elle s’empresse donc de le remercier sortant sa carte bleue. « Il y a encore une nouvelle taxe sur les produits naturels aujourd’hui… Mais je t’offre les 100 grammes, c’est pour la maison ! » lui rétorqua-t-il avec un clin d’œil. Katniss le remercie de son geste humble malgré ces temps et lui donne un pourboire malgré ses tracas financiers.
Ainsi, la voila repartie sur son dur périple… Plus que cinq rues et une grande montée avant ce répit tant attendu.
Rentrant essoufflée chez elle, elle se débarrasse du poids qui l’avait accompagnée durant toute la journée. Elle s’assoit sur son canapé, libérée des tensions accumulées, lorsque surgit son chat Pollux, jouant avec les feuilles de sa succulente. Cela lui rappelle ainsi le jour où ses parents lui ont offert la plante, sa toute première plante. La seule chose qui l’a accompagnée jusqu’ici et le seul objet intact de cette période résolue. Elle ne peut se permettre de la perdre, connectant ainsi un lien précieux avec sa famille, sa campagne. Ses parents ayant cultivé son amour de la nature, elle ne peut songer à abandonner la seule nature qu’elle peut atteindre, c’est son obligation, son devoir. Elle se lève du canapé, et se dirige vers sa plante, prenant soin d’elle comme la nature avait pris soin d’elle avant.