La caravane épicée

Récit imaginé par Juliette Serfati , Joséphine Fuzeau , NIcolas et Izée et et facilité par Morgane Personnic dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 16 septembre 2023 en partenariat avec Anticipation Festival.

Thème de l’atelier :  Et si en 2050 nous avions bifurqué pour un futur neutre en carbone?

En chemin. Plus très loin du prochain arrêt, Montcalm. Tranquille. Pas de raison de s’en faire, avec un nom pareil. C’est une petite cité de l’ancienne capitale, quand on l’appelait Paris. Un bled en cours d’ensauvagement, où l’on n’a plus besoin de grand-chose ; on vit comme ça, toustes dehors le plus souvent et dedans pendant le mois d’hiver, les pieds dans l’eau pendant les crues.

La caravane ? Chargée d’épices, d’herbes, de champignons que l’on a bidouillés dans les labos pour les vendre au prix de l’or à celleux qui ont les moyens de les payer. Les autres cueillent sur le bord des routes, troquent, comme à Montcalm. On pourrait dire qu’on partage.

La caravane ? D’anciens wagons du RER D retapés qui roulent maintenant au solaire, il faut bien s’adapter. Blindés quand même, il ne faut pas négliger les risques. C’est quand même du semi-précieux, ce que la PharmaCOP transporte sur toutes les routes de la planète, pour les poignées de riches qui restent. Les autres la regardent passer, iels cueillent sur le bord des routes et il y a l’air d’en avoir pour tout le monde, avec du rab pour en faire commerce, alors pourquoi se priver ?

Bientôt Montcalm, l’équipe de la PharmaCOP s’en réjouit presque, d’entendre leurs chants, leurs rires, ils n’iront pas jusqu’à partager leur repas mais il faut bien le dire, on vit la plupart du temps en bonne intelligence, comme on disait dans les années 20.

L’arrivée de la caravane dans le village fit monter une tension soudaine. Les rythmes cardiaques de tous les habitants s’accéléraient, les émotions se décuplaient, le tout se transmettait. Un mélange d’envie, de sentiment d’injustice, de jalousie, de tristesse, de misère. Les temps étaient de plus en plus rudes. La pénurie de ressources premières et tout particulièrement pharmaceutiques atteignait un point critique. Pourtant elles étaient là, juste sous leurs yeux, eux qui en manquaient cruellement. Le déchirement de voir ses proches malades, qui pourraient être soignés mais qui ne l’étaient pas par manque de ressources finit par décider nos habitants de Montcalm de passer à l’action. La solidarité qui unissait ces villageois depuis de longues années était une base fertile pour s’engager de façon organisée et méticuleuse. 

En deux temps trois mouvements, dans cette ambiance intense, quelques regards entre les uns et les autres suffirent à faire passer le message d’une nécessité à agir instantanément. Quelques minutes plus tard, tout le monde se retrouvait derrière la mairie, où tout le village avait coutume de se retrouver pour les assemblées participatives. Il suffit de 10 min pour élaborer le plan d’action, chacun s’engageant au poste qu’il connaissait le mieux pour une efficacité redoutable. Certain.es s’occupèrent d’éloigner le conducteur de la caravane en lui montrant la source pour qu’il se désaltère après son long périple. Pendant ce temps, les autres pillaient la caravane de toutes ses précieuses denrées. 

Lorsque le conducteur voulut revenir à sa caravane, on l’invita à venir se laver, prétexte suffisant pour l’emmener dans une petite salle sombre où il fut ligoté par surprise et retenu en otage. 

La caravane, illuminée, éclairait nos visages de lumière électrique. 

Il était tard. Quelques pertes à déplorer. Mais on n’y pensait pas. Les morts ne sont plus là et seuls les vivants restent. 

Pour moi c’était un rêve éveillé, une puissance soudaine et indéfinissable qui me prenait tout entière. Moi et l’enfant que je portais dans mon ventre.

Disons-le ouvertement, c’était une victoire de plus contre le grand capital. Un espoir supplémentaire pour la vie. L’espérance d’un monde plus juste qui se réalisait. Les épices médicinales étaient à portée de tous. Le cumin nous guérirait du virus. Ces racketteurs de la Pharmacop avaient fait chou blanc.

Il y eut des danses et quelques accès de bruitisme participatif. Après la première transe extatique,  l’atmosphère devint lourde. Une inquiétude me perçait le cœur. Inquiétude que ni les percussions, ni le souffle des instruments ne pourrait apaiser. Alors, comme je fais dans ces cas-là, je me suis levée, et j’ai parlé fort. 

« Le temps de la fête doit se terminer. Il nous faut procéder au partage. Les malades attendent dans l’arrière pays. Les secondes sont comptées, il n’est plus temps d’attendre. »

C’est alors que je l’ai vu, haut de deux mètres, le molosse. Il se leva, bâton à la main. « Nous avons pris des risques. Kambel, Vidisrate, et Globo sont morts. Moi même j’ai vu de mes yeux le pays lointain au moment où le canon de son fusil a retenti à quelques centimètres de ma tempe. Nous avons payé le tribu de nos vies. Il est normal qu’ils en fassent autant. »

Ces mots me glaçaient. La coordination de l’action avait été clair, mais le comité décisionnel avait été en partie détruit et le rapport de force avait changé. Le molosse avait une voix forte, un regard déterminé, et tout le monde était encore endormi. 

« Je demande la convocation du conseil » dis-je, et l’on fit sonner la cloche. Tout le monde était fortement alcoolisé. Il fallait agir vite, l’urgence était total. 

La bascule d’un monde à l’autre, d’une pensée à une autre tient parfois à un mot prononcé au bon moment. Une vie est parfois suspendue au fil d’une parole. Je frappais celles et ceux qui somnolaient pour les rappeler à leur tâche.

On fit un cercle de meuglement. Le bâton de pouvoir circulait d’un bout à l’autre du cercle. 

On arriva à un accord. Même si je parlerais plutôt d’une scission. Le molosse et les siens garderaient les produits non-vitaux et partagerait le bénéfice de ses ventes – du moins le prétendait-il. Et l’essentiel des médicaments seraient divisé de manière équitable dans toutes les maisons qui en auraient besoin. 

Nous n’avions jamais rien eu. Nous étions la vermine, les rongés, les dégoutants. À présent que nous possédions tout, nous ne savions plus quoi en faire, ni comment se le partager. Incapables de surveiller la roulotte correctement, un pillard en profita pour dérober une grande partie du cumin médicinal. Ce même cumin censé guérir une partie de mon village dans l’arrière pays. 

« Je ne sais pas bien ce qu’on va pouvoir guérir, avec ce qu’il nous reste. »

Pour ne plus penser l’alcool fut partagé, la danse s’endiabla. Moi je gardais la caravane. 

Chacun était reparti les poches pleines, les épices ayant été emballées dans des morceaux de vêtements déchirés à la hâte . il ne restait plus qu’une caravane vide et un tapis multicolore d’épices. les odeurs se mélangeaient , odeurs fortes et entêtantes qui avec la chaleur faisaient piquer de l’œil les passants qui étaient étrangement indifférents à la scène. ce n’était pas la première fois qu’un tel événement venait perturber le quartier. Les médias qui autrefois attribuaient cet événement la première des couvertures, ne relayaient désormais plus ce type d’actualité ; même pas un petit encart dans le journal en papier recyclé. En effet, la médiatisation avait entraine dans son sillon des myriades d’enlèvements de conducteurs, des assassinats laissant orphelinses plusieurs centaines de familles. le salaire de ce nouveau métier à risque atteignait des montants qui attiraient les plus pauvres. Des parents qui voulaient mettre à l ‘abri leurs enfants, risquaient tout; ils avaient bien essayé de rendre les caravanes plus sécurisées mais les matériaux étaient limités et seul le bois permettait artisanalement de les concevoir.

Les épices augmentaient à mesure que la révolution s’immisçait sur tout l’hexagone. des rumeurs circulaient. Certaines milices avaient fusionné pour élaborer un plan : celui de renverser le siège de Pharmacop. on pourrait enfin récupérer les brevets cachés et créer localement les médicaments.

la révolution serait grande et majestueuse: Nous étions pretses.