La nouvelle vie sauvage : les prédateurs de demain

Récit imaginé par Océane Van Hoorebeke, Samuel Boisseau et Chloé Costa-Gryczynski et facilité par Morgane Personnic et Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 février 2025 à Rennes en partenariat avec Alternatiba Rennes.

Thème de l’atelier :   Et si en 2050 le béton n’était plus ?


Des tiges qui poussent depuis la terre, des lignes qui montent vers le ciel et de l’eau qui recouvre tout. L’eau a mangé le vert. Aujourd’hui sera sans fleurs. Il n’y a que cette surface lisse dans laquelle se reflète le bleu et les tâches blanches qui naviguent dedans.

Des pas dans l’eau, un clapotis. Des oreilles qui se tordent, un visage qui se tend vers l’horizon. Un visage aux drôles de contours. Ses yeux sont cernés de noirs, son museau aplati. Il guette, ses quatre pattes plantées dans le sol. Un lynx aux portes de Rennes. Même les fous de la place Sainte-Anne n’auraient osé l’imaginer. Pourtant, le félin est ici, devant ces géants de pierre effondrés. On raconte qu’autrefois ces géants avaient des yeux, des vitres à travers lesquelles ils observaient les passants, des bipèdes pressés à vélo ou dans des grosses choses qui font vroum vroum. 

Nous sommes en 2050 et le vert a tout aspiré. Il s’est infiltré entre les pierres. Il a écarté le béton et avalé le gris. De ces tours qui s’élevaient, il ne reste que du gris en pointillés. 

Le lynx, acculé par la montée des eaux rapides, contraint de quitter son milieu naturel, part en errance. Après plusieurs jours, perdu, en dehors de tout repère, le lynx sent la faim lui nouer les entrailles. Non loin de là, un groupe d’humains décide également de quitter son lieu de vie. Leur motivation est semblable : se nourrir.

Ce groupe solidaire, composé d’hommes et de femmes de tous âges entre en migration. Habitats sur roues, yourte démontée sur remorque en bois, ils quittent leur territoire pour un temps, le temps de la saison en cours. Leur territoire, c’est un campement, un village, une cité. Des arbres structurent les espaces et les habitats. Des plantes les relient et créent les liens entre les habitants. Chaque plante à son usage, sa place, son pouvoir.  Des cheminements au sol, créés en alvéoles à partir des déchets de la destruction de l’aire du béton, permettent à une espèce spécifique de ray grass de s’étendre et de rendre les cheminements terrestres facile pour les vélos et les charges lourdes. Dans cet univers apaisant, les relations entre les animaux et les humains sont souvent de l’ordre du jeu.  Chaque membre du groupe a sa place et pourtant son rôle dans le groupe change chaque jour. 

Mais revenons à notre lynx et à notre groupe d’humains, toustes en migration en cette saison des pluies.

Le lynx, apeuré, voit sa nature de prédateur prendre le dessus : transformer un être mouvant en nourriture est sa seule obsession.

L’inévitable ne pouvant être évité, par un matin d’accalmie, leurs chemins se croisent.  

Le lynx sent alors des odeurs inhabituelles. Par instinct, il se braque et se positionne de façon silencieuse. Le groupe d’enfants, au nombre de quatre, continue de se promener innocemment, puis remarque derrière les branchages l’animal posté. Si la peur traverse soudainement l’esprit des enfants à différents degrés, ils se ressaisissent rapidement car leur éducation et leur évolution les avaient habitués dès le plus jeune âge aux imprévus et dangers de la vie nouvellement sauvage. Les enfants sont habitués à jouer au quotidiens avec les chiens, chats. Et selon les jours, avec les renards, ragondins et sangliers. Ils ont rapidement identifié que le lynx en face d’eux est un prédateur, mais ils voient cette rencontre comme une nouvelle aventure d’un jour, comme leur quotidien le dicte. 

Le lynx quant à lui, est à la fois méfiant et envieux de goûter ces nouvelles proies. Sur ses appuis, il est prêt à bondir ou à fuir. Les enfants entament l’interaction. Ils se mettent dans une posture similaire à l’animal, presque comme une provocation, et ils rigolent entre eux. Puis, plutôt que sauter sur l’animal bien supérieur à eux niveau force, ils courent, non pas à l’opposé de l’animal, mais sur le côté. Ce dernier les suit, en courant, intrigué. En slalomant entre les branches et les arbres, l’animal comme les enfants font preuve d’une prouesse athlétique.

C’est là que le jeu commence : Seront-ils capables de se suivre ? Le lynx se prend au jeu. Il a toujours envie de goûter ses nouvelles proies, mais il est aussi intrigué de savoir jusqu’où ils vont aller. Il aime jouer avec ses proies tel un chat avec une souris mais progressivement le long de la course, on peut voir qu’il se fait emmener, presque promener par les jeunes enfants qui s’amusent à gambader athlétiquement dans la forêt. 

L’esprit de l’animal vacille entre continuer le jeu en courant et planter ses crocs. Il tente un assaut. Mais les enfants, parés, synchros et aux aguets repoussent ensemble l’animal, chaque fois qu’il essaie de sauter sur eux. La course continue puis les enfants s’arrêtent, perchés sur un arbre. La fatigue est pesante. Le lynx pourrait en profiter mais… la course affolante qu’il a eu avec ces enfants, n’était progressivement plus seulement animé par une soif de sang mais une envie de continuer le jeu. Le jeu ici semble terminé et le lynx, aussi fatigué, n’a pas réussi à prendre le dessus sur les enfants qui ne ressentent même pas la peur. 

L’aventure se termine. Le lynx a voyagé dans un autre territoire. Il doit retrouver un autre endroit où vivre et ne plus se laisser balader. Les enfants décident de reculer en gardant visuel sur l’animal. La rencontre fusionnelle sur ce qui a semblé être un jeu, s’estompe peu à peu. Chacun s’en retourne à son territoire, nouveau ou non, dont les frontières ont été dessinées par une course ludique où se sont mêlés rapports de force athlétiques et amusement à toute épreuve. Mais rappelons qu’une frontière se définit en tant qu’elle se traverse, et que malgré le fait que nos êtres vivants s’en retournent à des milieux de vie différents, bien d’autres aventures animales se dérouleront encore à chaque nouveau soleil tant que les vies nomades se croiseront. 

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