07 Mai Une sénégalaise à Fécamp
Récit imaginé par Alexis, Marie Paule, Frédérique et Jérôme et facilité par Vincent D. dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 29 avril 2025 en partenariat avec l’ADEME
Photo de Prometheus 🔥 sur Unsplash
Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050 ? Récit ancré dans le scénario 1 de l’ADEME
Lorsqu’on m’a dit que j’étais accueillie chez une jeune femme de Fécamp, où je suis arrivé par la force des choses après toutes les péripéties qui ont suivi la perte de ma maison au Sénégal, j’ai été très touchée. J’ai découvert Lætitia. Voici comment elle m’a accueillie, et la personne que j’ai découverte :
Lætitia a grandi ici à Fécamp, et je sens qu’elle a tissé une vie ici faite de beaucoup de relations. Elle passe du temps à vélo : le lundi et le mardi pour aller donner des leçons de piano, elle prend son triporteur avec le « piano pédagogique » (un piano plus léger, avec seulement 60 touches qui convient pour les débutants). Puis du mercredi au vendredi, elle prend un vélo plus léger pour se rendre à la coopérative, juste en dehors de la ville. Elle travaille dans l’atelier de production de jus de fruit. C’est une richesse du territoire normand : on est un des lieux en France où il y a encore des pommes.
La maison est assez simple. Au moment où je suis arrivé, elle venait à peine d’emménager avec Thibault, son conjoint. ça rend d’autant plus généreux son geste de m’accueillir. Ils ont décidé de vivre ici dans un habitat partagé, réaménagé dans un de ces immeubles de banlieue construits le siècle dernier. On a des lieux privés assez simples, deux chambres, une salle d’eau, et le reste est partagé. Dans l’immeuble, il y a des gens très différents, et de tous les âges. Les soirées s’organisent entre voisins autour de lecture, de musique, de jeux. On a pas beaucoup de livres, mais on a les autres.
Dans le quartier, l’environnement est très vert et très naturel. Il y a un jardin plein de fleurs, de papillons et d’oiseaux. Elle fait de la couture gratuitement pour le voisinage et confectionne des costumes pour son club de danse, elle m’a laissé l’accompagner et c’est une vraie respiration pour moi. Elle participe à un jardin collectif deux jours par semaine, et prépare des conserves pour l’hiver, mais là dedans je ne l’accompagne pas.
Lætitia et son conjoint avaient de longues discussions le soir au sujet des problèmes agricoles dans le département et au sujet d’avoir un bébé. Moi je m’éclipsais discrètement pour les laisser seuls et ne pas perturber leur intimité, mais j’ai bien compris qu’ils étaient torturés par ces problèmes : Lætitia avait peur de perdre son travail, mais surtout elle craignait que les ressources alimentaires viennent à manquer. Certes ils avaient des réserves pour une année, c’était dans le plan de gestion de la ville pour assurer la sécurité alimentaire des habitants, mais les nouveaux arbres plantés récemment n’allaient pas produire tout de suite. La ville pourrait prendre contact avec d’autres régions pour définir des accords d’échanges pour obtenir de la nourriture en cas de besoin mais Lætitia ne savait pas ce qu’ils pouvaient offrir en échange. Un soir, je me suis permise de rester et de parler de notre expérience au Sénégal : une année, nous avions eu une maladie qui avait décimé les cacaotiers et donc anéanti notre commerce de cacao avec l’Europe. Nous avions décidé de faire du maraîchage et replanter des arbres mais en diversifiant nos cultures. Le maraîchage nous avait sauvé de la famine. Thibault a écouté attentivement mon récit et a proposé à Lætitia d’en discuter avec d’autres réfugiés pour apprendre de leur expérience. Je crois que cela m’a aussi permis de gagner leur confiance. Le lendemain Lætitia m’a proposé une tisane sur la terrasse et m’a parlé de leur soucis pour avoir un enfant. J’avais travaillé dans une maternité et on a discuté du fait que les problèmes de fertilité sont souvent liés au stress. Cela lui a redonné espoir.
C’est vrai que les conditions ici sont difficiles aussi. Il fait très chaud mais il y a encore de quoi manger malgré les difficultés des producteurs. Lætitia et Thibault sont de gentilles personnes : elles composent avec les difficultés et font avec le petit soutien financier qu’ils reçoivent pour m’accueillir. Je leur en suis très reconnaissante.
Je leur ai proposé mon aide comme couturière pour constituer une activité complémentaire. Nous avons envisagé de former des personnes à la couture ce qui pourrait accroître leurs revenus et développer des échanges de services à Fécamp.
Comme pour de nombreuses personnes aujourd’hui, avoir un enfant demande du courage et constitue un vrai défi. Je les aide du mieux que je peux en leur partageant des recettes connues dans mon pays pour faciliter la fertilité à base de plantes et de rituels. J’accompagne parfois Lætitia dans ses tournées avec son incroyable piano mobile. Je participe en chantant des mélodies de mon pays ce qui apporte beaucoup de joie aux personnes et aux enfants. La plupart des gens m’apprécient, je crois, je vois bien les différences culturelles, mais pas de racisme envers moi. J’espère que la pluie tombera bientôt en abondance et que les récoltes pourront s’améliorer ce qui rendra la vie plus facile.