T’as voulu voir Vesoul

Récit imaginé par Delphine Batho, Dominique Bertinotti, Vincent Liegey et facilité par Cédric Liardet et dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 14 octobre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie)

Thème de l’atelier:  Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginons le quotidien de citoyen.ne.s dans ce futur proche ? 


Amina est en colère. Elle ne décolère pas depuis le matin où sa mère lui a annoncé leur déménagement de Gennevilliers à Vesoul, suite à un licenciement économique. A quinze ans, partir à Vesoul, non merci ! Mais sa mère n’a pas le choix depuis que l’entreprise de publicité dans laquelle elle faisait le ménage dans les tours de La Défense a fermé, suite à l’effondrement des budgets publicitaires résultant des mesures gouvernementales interdisant la pub sur l’automobile et l’aérien. Sa mère a opté pour la reconversion écologique proposée en acceptant un métier d’aide à domicile auprès des personnes âgées. Il faut dire que ce boulot vient d’être revalorisé et sa maman y voit bien des avantages : enfin un salaire décent, des horaires qui n’obligent plus à se lever à 4h du matin, et surtout des liens humains, elle qui tous les matins faisait le ménage dans des bureaux vides où elle ne croisait personne avant que les employés arrivent et parfois lui parlent mal. Nouveau lycée, nouvelle vie. Mais Amina enrage de perdre ses potes, son quartier, les rêves qu’elle se construisait d’une vie de styliste travaillant dans la mode. De Vesoul, elle ne connaît que la chanson de Brel. Elle a l’impression qu’on veut l’enterrer vivante à l’autre bout de la France. Un endroit où il fait froid, où il est probable qu’elle sera regardée de travers à cause de ses origines.  

Arrivée à Vesoul, le choc ! Dans le lycée autogéré, des cours se tiennent dehors, il faut faire soi-même la bouffe à la cantine, et éplucher les légumes qui viennent du potager municipal. Certains enseignements sont inédits pour elle, on réfléchit collectivement, le lycée développe des spécialités dans le recyclage. De fil en aiguille… Dans ce territoire en pleine reconversion, elle se familiarise avec des gens de tous âges, et surtout avec les mamies couturières qui avaient confectionné les masques pour le Covid pour venir en aide aux soignantes du centre hospitalier. Elle apprend la couture avec elles, emprunte leurs machines. Au début, elle trouve tout lent dans cette commune. Il y a moins de bruit. Il faut tout faire soi-même. Les gens se disent « bonjour » dans la rue. On fait la queue à la boulangerie parce que ça discute pendant des plombes. Mais petit à petit elle apprend à ralentir et à y prendre plaisir. Elle a désormais pour projet de créer une coopérative d’upcylcing des vêtements anciens, pour en faire des vêtements de créateurs en pièce unique. C’est ce qu’elle veut faire de sa vie dès qu’elle aura son Bac Pro. Elle a découvert que les chutes de vêtements peuvent être rachetées par une entreprise locale qui les transforme en matériaux d’isolation des logements. Elle passe ses week-ends à plancher sur son projet avec d’autres lycéens et lycéennes, accompagnée par le fablab local. Cet été, elle veut organiser le premier défilé de mode recyclée à Vesoul sur une chorégraphie Rap. Elle va présenter son projet au comité citoyen participatif qui prend les décisions dans la commune, et se demande si ça passera. 

Ce vendredi d’automne Amina prend le train en direction de la gare de l’Est, puis le RER vers Genneviliers. Avec appréhension, elle se demande si ses anciens quartiers ont évolué et si ses amis d’enfance ont changé comme elle, elle qui avait rêvé sur ces murets de béton de devenir styliste. A Vesoul, elle est en train de le devenir, mais différemment, à sa manière, dans un autre monde. Qu’allaient en penser ses copines ? Mais elles et ils aussi se sont ouverts de nouveaux horizons. La voilà embarquée pour visiter la ressourcerie où Kevin coordonne une cantine collective bio et y fait des smoothies délicieux. D’autres sont devenus coordinateurs de festival de musique ou infirmiers, technicien low-tech, voire tout à la fois. La vie se ralentit et on prend le temps de s’écouter, de travailler collectivement à des projets d’amélioration des immeubles et de l’espace public trop longtemps laissés à l’abandon. À Genneviliers comme à Vesoul, c’est tout un monde qui change… et ce n’est que le début.