Protopie d’une prise de Bec

Récit imaginé par Laetitia Guibert,  Pierre Merlier, Lucille Labuzan, Marie Leroy et facilité par Carole Zagouri dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 08/11/2021 en partenariat avec Désobéissance fertile.

Thème de l’atelier:  Et si demain le Vivant disposait véritablement de droits? Comment nous habitant.e.s de la Terre, les ferions nous vivre?


« Terre Mère » répéta Perudo. D’un regard complice avec son maître Jack, la cage s’ouvrit vers de nouveaux horizons pour Perudo de Bordeaux. Perudo se souviendra à jamais de ce jour… Ce jour où la DUDTM est rentrée en application et a complètement bouleversé les relations homme / animal. Après des années de domination de l’homme sur les espèces et la nature, il était venu le temps de redonner des droits à la nature et de libérer les espèces vivantes du règne humain. Les débuts n’ont pas été faciles. Il a fallu que de nombreuses espèces réapprennent à vivre en liberté et répondre à leurs besoins primaires : se loger, se nourrir etc. De nombreuses espèces y sont passées. Mais depuis quelques temps, un autre problème fait rage : certaines espèces, dont les perruches dont Perudo fait partie, ont trop vite proliféré par manque de prédateurs et mettent en péril d’autres espèces comme les passereaux. 


Aujourd’hui a lieu le Haut Conseil Nature de la région Nouvelle Aquitaine, dédié aux problèmes rencontrés dans le cadre de l’application de la DUDTM 12 ans après son adoption. Une des solutions proposées sera de réintroduire certains prédateurs disparus pour réguler les espèces, telle que la corneille noire, mangeuse de perruche. Au lever du jour, je me rendis chez Jack. Il est nerveux ce matin. C’est lui qui portera la voix du collectif « Perruche un jour, Perruche toujours » pour défendre le droit de vie des perruches.  A 10h nous decidâmes de prendre le chemin du Haut Conseil. Personne ne jabota en route mais d’un simple regard, Perudo savait qu’il était dans le même état d’esprit que Jack.


Lors du débat au conseil régional, je représentais l’espèce des perruches, et Jack était mon interprète auprès des non oiseaux. A la table se trouvèrent convoqués les passereaux, notre proie favorite, les corneilles noires, notre redoutable prédateur, et nous, les perruches. Les passereaux prirent très rapidement la parole pour partager leur urgence qu’était la diminution massive de leur espèce en raison de notre trop grand nombre à nous les perruches. Je sommai Jack de réagir à son tour, précisant que nous étions bien obligés de nous nourrir et qu’en extérieur, les passereaux étaient notre principal garde manger. Les corneilles noires prirent à leur tour la parole expliquant qu’elles se trouvaient prêtes à partager leur territoire avec davantage d’oiseaux de leur espèce, afin d’aider à réguler la population de perruches. Les passereaux encouragèrent cette proposition et je sentais s’installer en moi un sentiment d’inquiétude en imaginant un plus grand nombre de corneilles noires dans cette grande ville de Bordeaux. Notre situation reposait à présent dans les mains des êtres humains, à l’initiative de cette rencontre.


Plus tard, sortait un article du Sud Ouest : »Les débats furent houleux, ce jour, durant le Haut Conseil de la Région Nouvelle Aquitaine. Placés de part et d’autre de l’hémicycle, passereaux et perruches se sont fortement bèquetés, sous les regards ébahis des hommes, initiateurs de cette rencontre. Au terme de ces prises de becs a émergé la décision, inédite, d’une volonté d’une « libre régulation de la nature ». En prenant en considération le fait que l’homme soit la seule espèce responsable du déséquilibre planétaire en terme de répartition des espèces, qu’elles soient prédatrices ou proies, il est en son devoir de rétablir une juste balance. Aujourd’hui, demain, et pour les jours à venir, seront réintroduites de manière équitable et ce dans chaque territoire, les espèces dont la population est faiblement représentée. L’intervention humaine permettra à terme au règne animal de « s’auto-réguler » puisqu’aucune espèce ne pourra se revendiquer « invasive ». En bref, la décision retenue, qui semble tout autant être la génératrice de bienfaits et l’origine de nouveaux meurtres, risque de créer bien d’autres querelles bestiales, sur la terre, dans les airs et dans les mers. »    


À la lecture de l’article, le plumage de Perudo s’ébouriffa. Son regard froid transperça celui de Jack. L’homme semblait surpris de voir son compagnon dans un tel état : « Mais enfin Perudo, c’est pour le plus grand bien que nous avons pris cette décision. Tous ces petits passereaux en danger, nous devions intervenir !«  »Intervenir ? Encore intervenir ? Je vois que vous ne savez jamais faire sans, vous les hommes ! » pensa Perudo. « Tu dis m’avoir redonné la liberté, pourtant est-ce vraiment le cas ? » Au même instant, une corneille passa devant la fenêtre. Perudo, inquiet, se précipita dans sa cage, celle qu’il avait quitté 12 ans plus tôt.La liberté fait-elle vraiment sens si elle ne dépend que du bon vouloir des Hommes ?