Plage de la couronne

Récit imaginé par Christy Simon, Zoë Le Monnyer et Tom Bebien et facilité par Lauriane Pouliquen-Lardy dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 06 juillet 2022 en partenariat avec Plastic Odyssey.

Thème de l’atelier:  Et si en 2038, la France apprenait à vivre sans plastique ? 


20/07/2038 – plage de la Couronne, étang de Berre. Ça fait 10 ans que l’explosion de l’usine PolyPlast a eu lieu, et j’y retourne pour la première fois avec Camille. La mairie vient tout juste d’autoriser à nouveau l’accès au site. En arrivant, je me rends compte qu’il est resté intacte, comme dans mon souvenir. Les bâtiments sont sales, abimés, vieillis par le temps, mais j’ai l’impression que rien n’a changé, comme à l’époque. Camille ne s’en rend pas compte mais, tout autour de la plage où nous nous rendons, se trouvait, avant le drame, une des zones industrielles les plus lucratives et dynamiques ayant jamais existée en Europe. C’était le berceau de la technologie, des procédés chimiques, le cœur de la pétrochimie et des hydrocarbures, le symbole de la puissance industrielle française. Nous marchons à travers le site pour nous rendre sur la belle plage sur laquelle la mère de Camille et moi nous sommes rencontrés. 

Il fait chaud, j’ai des gouttes de sueurs qui coulent dans mon dos, mon tee-shirt en lin est trempé… Je me souviens encore de l’époque avec les tee-shirts techniques qu’on achetait… c’était quand même bien pratique en période de canicule, ça séchait instantanément et pas d’inconfort…

Mon cerveau divague, j’essaie de me souvenir. Il me semble que ça ressemblait à peu près à ça, mais la végétation est plus verdoyante maintenant. Il y en a plus qu’avant, enfin je crois. Oui, oui, je suis sûr. D’ailleurs elle a recouvert certaines des installations balnéaires, ça alors ! C’est le nouveau paradis des mouettes, enfin, des gabians. Qu’est-ce qu’elles braillent ! Elles ne doivent pas être contentes de nous revoir, nous les humains, sur ces plages…

On s’installe enfin sur la plage : elle a l’air propre. Elle me semble propre ! Incroyable ! Dire qu’avant il y avait toujours des tonnes d’ordures entassées. Depuis l’interdiction gouvernementale de l’usage du plastique aux secteurs non essentiels, le résultat est impressionnant. Je regarde à droite, à gauche, mais rien, je suis scotché. Après le dernier grand nettoyage, les bouteilles, sacs plastiques et canettes en tout genre ne sont pas réapparus. On enlève nos chaussures, des genres de spartiates en corde. Je n’ai pas peur, je n’ai plus peur de laisser Camille courir les pieds nus ici. Le sable est chaud, brûlant, mais c’est agréable. Je me sens vivant. Je dépose la glacière que je portais comme un bébé dans les bras (et oui, la poignée est cassée, mais avec les nouvelles lois, on en produit plus des comme ça). Je déroule un tapis en canisse pour que l’on puisse s’assoir. Je suis heureux d’offrir à Camille un environnement comme celui-ci. Je me rassure un peu, sur les erreurs du passé. La nature est résiliente, ce lieu en est la preuve. La civilisation plastique n’aura finalement pas raison d’elle. 

Mes doigts fouillent le sable, mécaniquement. Une sombre découverte me replonge dans la réalité, brute, sans mensonge. Non, le plastique n’a pas disparu. Je le vois, glisser entre mes doigts, sous forme de petits déchets presque invisibles et pourtant bien présents. Soudainement, je me sens mal. Une légère nausée, un souvenir désagréable me hante. 

– Papa, papa ! 

La petite voix de Camille, enjouée, me sort de mes pensées. Ce n’est pas le moment de faire un malaise. 

– Papa, papa ! Dis papa, est-ce que je peux aller jouer dans la mer ? 

De nouveau. Mon ventre se serre. En revenant sur ces lieux, je le savais. Je dois affronter les fantômes. La vérité est là, elle m’explose au visage avec la question d’un enfant. 

Je ne préfère pas Camille. Tu sais, l’eau ici n’est pas suffisamment propre pour que tu puisses t’y baigner.
– Mais Papa regarde, il y a des gens dans l’eau pourtant !

Oui Camille, il y a des gens dans l’eau mais comment t’expliquer que leur santé est directement mise en danger. Comment t’expliquer que pendant des années, l’industrie qui régnait en maître dans ces lieux a entrainé des dégâts qui seront peut-être irréparables. Cette activité qui a permis à des millions de personnes de consommer à outrance, à des entreprises de produire toujours plus, sans jamais se poser la question des ressources, sans jamais se poser la question des conséquences de leurs actes. Aujourd’hui nous le subissons de plein fouet. Ah c’est sûr Camille, toi qui as grandi sans connaître tout ça, tu ne sais pas à quel point le changement a été brutal.

C’est compliqué à expliquer. Pendant des années les grosses usines présentes ici ont déversé leurs produits chimiques dans la zone. C’est ce qui a pollué l’eau, et qui la rend très dangereuse pour la santé.
– Mais papa toi tu faisais quoi à ce moment-là, pourquoi tu n’as pas empêché ça ?
euh
Des sueurs froides glissent entre mes omoplates.
tu sais, je travaillais juste ici, dans les usines qui sont là, tu vois, on les voit encore. Mais je n’avais pas de pouvoir de décision. On y fabriquait du plastique, ce matériau qui est aujourd’hui interdit car trop dangereux.
– ah bon ? mais du coup si je ne peux pas me baigner, est-ce que c’est un peu de ta faute ? 

Cette question me met mal à l’aise.

Oui, en partie Camille. Comme des millions d’autres, mais je n’en suis pas fier tu sais…

Camille me regarde, ébahie. Ses yeux se gorgent de larmes. Et dire qu’elle ne peut pas jouer au soleil, en plus de l’interdiction de la baignade. Dire, que de ça aussi… je suis en partie responsable. Je me sens si con putain….

– Viens là. Fais-moi un câlin. Ne t’inquiète pas, promis la prochaine fois on partira 3 jours et on ira dans les calanques de l’autre côté, plus loin. Mais il faut qu’on s’organise, et avec le travail qu’il y a au jardin, tu sais bien que c’est compliqué…
– Oui mais, pourquoi tu as fait ça ? T’es un méchant en fait…!!!!!?
– Je sais que ces mots sont durs à entendre Camille… Tu ne peux pas savoir à quel point je m’en veux. Mais j’ai changé, et puis je n’ai pas à me justifier plus que ça. Viens, tu as faim ? Regarde j’ai amené du pain et de la brousse du Rove que je suis passé chercher à la ferme ce matin, ça te dit qu’on grignotte un bout ? Allez, souris s’il te plait !
– D’accord, mais je veux bien du melon avant, s’il est encore frais.

J’ouvre alors la glacière, ou plutôt, je peine à l’ouvrir. Elle commence à se faire vieille faut dire, j’ai dû l’acheter il y a près de 8ans. Le couvercle coince, grince, et ne ferme presque plus. Mais par cette chaleur, c’est toujours mieux qu’un sac en lin… Un reliquat du passé, encore un. Ils se font de plus en plus rares. 

On déguste tranquillement notre pic nique improvisé, et encore une fois, bien différent d’avant : pas de sandwich triangle, pas de paquet de chips, pas de poubelle car pas de déchets. 

Elle est loin l’époque des sandwichs triangles industriels, avec du pain sucré, 2 bouts de tomates-mayonnaise en guise de garnitures. Je me souviens, on en raffolait alors qu’on achetait ça une blinde et qu’une heure après on avait faim. Pareil pour les chips, depuis que les emballages n’existent plus, on n’a plus ces merdes à bouffer.

– Tiens Camille, du melon et en plus, ta mère t’a préparé ton sandwich préféré : du beurre, du concombre, des tomates et un œuf dur !  Ah mince, il y a du concombre qui est tombé au fond de la glacière. Tiens prends ton sandwich.
Merci Papa ! Est-ce que je pourrais donner les restes aux poules en rentrant à la maison ?
– Oui bien sûr
– Oops, la crème pour ta peau??? Tu en as mis ?? Attention, tu sais bien que c’est dangereux…  Avec tous les problèmes que tu as déjà, tu ne peux pas te permettre de t’exposer au soleil Camille ».

Je farfouille dans la glacière, compulsivement. Où ai-je bien pu foutre cette fichue crème… J’imagine déjà le pire. Les meurtrissures sur sa peau, puis la douleur, les nuits entières de cauchemars. Je sais ce que ça fait, je ne veux plus jamais lui infliger ça. Dans ma tête, un démon me répète inlassablement : C’est ta faute, ta faute, tout, tout, tout est de ta faute. Mes mains tremblantes agrippent enfin le pot en verre tant espéré

–  Viens-là, Camille !

Sur son visage rougit, j’applique soigneusement la précieuse mixture. Mes muscles se détendent. Camille s’agite, ne tient pas en place. Comme d’habitude, elle n’a qu’une envie, retourner jouer. Je la libère, la laisse courir. On verra plus tard pour le pic nique.