Papy fait de la résilience

Récit imaginé par Florence KONGPHENGTA, Léo MARCHAL et Stéphane AHR et facilité par Lucien Schiltz dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 27 octobre 2021 à La Base à Marseille en partenariat avec Marseille en Transition.

Thème de l’atelier :  Au début des années 2050, les villes sont des espaces nourriciers. La production alimentaire a été relocalisée dans les villes pour les rendre plus autonomes et résilientes. Les habitants remettent les mains dans la terre et participent activement.


Il était une fois aux Chartreux à Marseille un lieu où la végétalisation s’était développée depuis plusieurs années, ce qui permettait aux habitants d’être plus autonomes, bien que pas totalement, au niveau alimentaire. Cela s’organisait autour de lopins privés, de parcelles gérées par des associations ou collectifs, et des terres à 100% publiques. Lucas, 70 ans, originaire de Polynésie Française où il était fermier, a perdu ses terres suite à l’immersion de son île et a rejoint sa famille depuis 5 ans ici à Marseille. Il passe beaucoup de temps avec Marine, sa petite fille de 12 ans, qui elle, a toujours vécu aux Chartreux, et qui l’a aidé à s’intégrer dans ce nouvel environnement. Malgré la tristesse d’avoir dû quitter son île, il a trouvé un lieu où il se sent en harmonie avec la communauté puisque tout le monde est dans le partage et l’échange. Il peut, lui, transmettre ses connaissances aux plus jeunes et parler de son expérience passée. La transmission lui a permis d’être très proche de sa petite fille et des autres habitants du quartier. Il règne d’ailleurs un grand sentiment de fierté commune car ensemble la communauté a réussi à réaliser de grandes choses.

Lucas a acheté une parcelle il y a cinq ans, elle est assez proche de chez Marine. Il l’a transformée grâce à tout son savoir parce qu’il savait cultiver la terre ; il savait beaucoup de choses. Il est très apprécié dans tout le quartier : il donne des conseils aux autres habitants, il reçoit les écoliers, il est ami avec les maîtresses, il conseille en agriculture et aussi en élevage de chèvre. Tout le monde sait très bien que dans cette région méditerranéenne de Marseille, les incendies sont les vrais dangers et savoir débroussailler avec des chèvres les forêts et sous bois,  a un double avantage : on peut éviter les incendies mais on peut aussi ensuite avoir du lait et faire du fromage, du bon fromage ! Lucas est vraiment une bénédiction pour ce quartier. Ses cultures sont prospères et il a apporté de son ancienne propriété en Polynésie la machine qu’il avait mis tant de temps à pouvoir s’offrir : son stérilisateur appertiseur professionnel nécessaire et efficace pour conserver les surproductions de fruits et de légumes. En 2051 le printemps est déjà chaud et pluvieux. Oui, tout le monde se réjouit de cette belle saison qui s’annonce. Marine est déjà une fille très moderne qui s’intéresse à tout. C’est vrai que ses maîtresses lui ont appris beaucoup de choses mais aussi avec son appli « mes astuces potager » elle a su que les légumes tels que les tomates ne se conservent pas. Une tomate ne se conserve pas crue, en effet il faut pouvoir la transformer, la cuire, dit-on sur son appli, ou faire des sauces, et puis ensuite la stériliser. Alors que les pommes de terre, il suffit de les mettre à l’abri de la lumière et on peut les manger en hiver.


Un matin, le 3 juin, le facteur apporte à Lucas un courrier recommandé. Lucas approche : qu’est-ce que ça peut bien être? Il ouvre rapidement le courrier : 

« Monsieur Lucas, … » ce courrier est rédigé à la fois par l’association du quartier.com et par la mairie, Lucas lit : « … il y a certaines de vos parcelles qui vous ont été vendues, tandis que celles numérotées 43 et 44 ne ne vous appartiennent pas. Elles doivent être rendues à la communauté. » Lucas est dans l’incompréhension totale. Marine qui vient le voir dans l’après-midi comme chaque mercredi lui dit : « Mais grand-père, il y a des solutions… »- Oui peut-être mais ma petite fille chérie, mais ça représente un tiers de ma surface, c’est cinq cent mètres carrés ! C’est dramatique.

– Oui je comprends mais on va trouver des solutions. »

Marine dédramatise, elle est tellement attachée à son grand-père qu’elle veut vraiment trouver une trouver une solution. Elle sait que cela va générer des conflits avec les voisins qui font partie de cette association. Elle veut trouver une solution. Lucas lis le courrier jusqu’à la dernière ligne, il se rend compte qu’un mois seulement lui a été donné pour restituer ses cinq cents mètres carrés à l’espace public, au profit de cette association. il refuse, il s’énerve, il campe sur ses positions et il dit que ça fait cinq ans qu’il exploite cette surface, qu’il a planté des oliviers, des abricotiers, qui ont grandi et qui produisent. Il ne comprend pas, il n’est prêt à rien concéder : c’est son individualisme qui domine. Son attachement à la terre est viscéral. Là-bas en Polynésie cela faisait quatre générations qu’ils étaient propriétaires. Ici ça fait cinq ans, mais pour lui ces cinq ans sont comme une vie : c’est sa nouvelle vie.


Les jours passent. Le 20 juin, les volumes de tomates sont déjà très important sur les marchés du quartier, tout le monde comprend progressivement que ce sera le triple de volume le 15 juillet. Que va-t-on faire, jeter les tomates ? Marine se rend compte que Lucas peut apporter une solution à savoir mettre les tomates en excédent en sauce pour l’hiver, pour la pizza de Noël, avec sa machine. Mais elle se rend compte qu’il va falloir probablement convaincre les habitants et les membres de l’association de cette possibilité d’utiliser le stérélisateur de Lucas, et cela pourrait être contre la possibilité que Lucas continue à exploiter cette parcelle. Afin que cette tension ne dégénère pas en conflit ouvert, elle décide de prendre son courage à deux main et d’aller voir son grand-père pour le convaincre :

 » Papi, tu sais le stérélisateur que tu avais en Polynésie, cet été on pourrait peut-être imaginer que tout le quartier vienne aussi faire nos conserves de tomates avec ! Moi je m’engage, je promets de surveiller qu’ils ne l’endommagent pas, et toi en échange, tu pourrais peut-être continuer à exploiter cette parcelle… »Elle demande à Lucas de la former, car ça sera elle à son tour qui formera les gens du quartier. Lucas est bougon mais il se rend bien compte qu’il est dans un cul-de-sac. Elle finit par le convaincre. Le 1er juillet il prend sa plume et donne son accord pour partager son stérilisateur en échange de la possibilité de continuer à exploiter les 500 m².


Marine a bien compris que la collectivisation de la machine détruit une part du rêve de Lucas, mais le voir accepter lui redonne de l’espoir. Elle était sûre que ça allait être difficile pour lui et se demande si la collectivité n’aurait pas pu faire une exception. Le jour où elle devra prêter serment de respecter la terre à ses 16 ans, elle se souviendra de ce jour et des points serrés de son grand-père. Lucas lui, essaye de trouver comment enseigner à ces nouveaux modernes les rudiments de la mécanique.  Ces jeunes sont soit trop connectés pour lui, on dirait une fourmilière, soit trop frugaux, ils n’ont besoin de rien ! Ils ont l’air heureux, mais il a le sentiment qu’il ne comprendra jamais complètement. S’il devait revenir en arrière. Cette idée le travaille. Pourtant, à mesure que chaque jour passe, petit à petit, il se voit intégrer sa nouvelle place. Le jour où la première boîte de sauce tomate est ouverte, les yeux émerveillés de Marine lui rappelant ceux de sa mère savourant la même recette, un regard de tendresse s’est échangé entre les deux. Comme si là, dans cette ville transformée par les temps nouveaux, une lueur de confiance avait éclaté.