30 Jan Ouchytopie
Récit imaginé par Isis Gouédard, Elisabeth Tricot, Gaelle Theillaud, Steven Lynch et Alexis Moeckli lors de la soirée de lancement de futurs proches le 30 janvier 2020 à Lausanne.
Une atmosphère lourde et morbide enveloppe la digue du Léman en ce début de printemps. Rafaël contemple le port d’Ouchy déserté et un vent de nostalgie l’enveloppe.
Au printemps dernier avec son fils John et sa fille Marie, ils passaient des heures à contempler les derniers cygnes du Léman. Aujourd’hui, les cygnes ne sont plus et c’est le tour des humains de tomber comme des mouches. L’eau du lac est tellement polluée qu’une épidémie inconnue ronge les habitants d’Ouchy depuis quelques semaines. Il a beau être infirmier, Rafaël se sent démuni et impuissant face au désastre. Il ne peut plus accéder au CHUV où il travaille, les habitants de Montchoisi ont mis en place un blocus : plus personne ne peut ni entrer, ni sortir du quartier. Les magasins sont vides, les ressources sont presque épuisées. Cela fait 3 semaines qu’ils sont livrés à eux-mêmes. Survivre et protéger ses enfants sont les seules choses qui lui importent maintenant !
Mais voilà, Ce soir Rafaël vient de découvrir que Marie est malade, l’épidémie n’a pas épargné sa fille. « Elle n’a que 13 ans ! » Hurle-t-il face à l’embarcadère noirâtre et infestée de rats !
Il s’accroche à un dernier espoir : le réseau d’entraide et de solidarité qui s’est mis en place entre les habitants du quartier. Il n’aurait jamais imaginé que les stocks de médicaments qu’il avait chez lui pour ses tournées à domicile permettraient un jour de troquer de l’eau potable ou un paquet de riz. Il puise dans toutes ses connaissances médicales et sa débrouillardise pour soigner Marie. La fièvre ne baisse pas, il sait que sa vie est en danger mais refuse le fatalisme. Certains, par miracle ont survécu, Marie doit survivre ! Elle a un sacré caractère, même malade elle se rebelle, il s’accroche à cela.
John du haut de ses 6 ans, a l’air de tenir le coup. Ce soir il rentre à la maison, le regard émerveillé, avec la lumière et le magie de l’enfant pour qui tout est possible.
Il se précipite vers Rafaël ″ Papa, papa, j’étais au bord du lac pour jouer à lance -caillou, le lac s’est mis à bouger et une sirène est sortie de l’eau. Elle était belle, tu aurais dû la voir ! Son visage était doré et ses écailles bleues et vertes et ses cheveux étaient longs peut-être même qu’ils touchaient le fond du lac. J’ai eu un peu peur, j’ai commencé à pleurer mais elle m’a fait un magnifique sourire et elle m’a dit qu’elle était là pour nous aider et pour guérir Marie″
A ce moment Rafaël se concentre pour ne pas dire à son fils que ce n’est qu’une hallucination d’enfant, que les sirènes n’existent pas. Dans sa tristesse l’histoire de John lui apporte un peu de douceur et de magie. John poursuit « Elle avait dans sa main un pot en verre et à l’intérieur une algue aussi lumineuse que les étoiles. Elle m’a promis que cette algue soignerait Marie et pourrait aussi soigner tous les habitants et elle m’a donné le pot, regarde !!!! » Le visage illuminé de joie et de fierté John montre le pot à son père. Il y a bien dedans une algue d’un vert scintillant. Mais pour Rafaël tout ceci n’est qu’une farce ! Comment croire une telle histoire, pure folie de l’imaginaire de son fils. Avec le plus de douceur possible, il regarde John, attrape le pot et lui dit « Fiston, c’est adorable de ta part de pouvoir aider ta sœur et la soirée, tu vois bien que depuis des jours j’essaye tout ce qui est en mon pouvoir de papa et d’infirmier. J’aimerais beaucoup croire qu’une algue magique apportée par une sirène puisse être la solution mais mon cœur cela n’est pas possible et Dieu seul sait ce qu’il y a dans ce pot et comment l’as-tu trouvé » Puis réfléchissant pour trouver une issue la plus positive il ajouta « Viens, nous allons remettre cette algue dans le lac, peut-être que la sirène pourra nous aider autrement »
John se mit à pleurer, dans son cœur d’enfant il ne pouvait pas comprendre la réaction de son père. Il avait trouvé la solution pour que Marie guérisse ! Que voulait-il de plus ! Il partit s’enfermer en courant dans sa chambre pendant que Rafaël fidèle à sa parole allait mettre le contenu du bocal dans le lac.
Pendant la soirée, John entend soudainement le cri de rage de Marie ! Même malade, son caractère de feu fait trembler les murs ! Blanche et transpirante de fièvre elle arrive encore à se tenir debout devant son père. Elle plonge ses yeux dans les siens et s’écrie « Décidément tu ne comprends jamais rien avec ton cerveau d’adulte blasé ! John vient de me raconter sa rencontre avec la sirène et aussi l’algue qui peut me guérir et aider aussi tous les habitants d’Ouchy. Si tu avais pris le temps de l’écouter et de croire ce qu’il raconte, il t’aurait aussi dit que cette algue doit être diluée dans de l’eau et qu’une seule gorgée suffit à guérir un homme de plus de 100 kg ! Tu es vraiment débile ! Sur cette conclusion prononcée avec tout le mépris de ses 13 ans, elle sort de la maison avec une énergie tenant du miracle.
Le temps de reprendre ses esprits, Rafaël se précipite dans la chambre de son fils, le prend sur son dos et se met à courir en direction du lac. Son intuition lui crie à l’oreille que Marie est partie là-bas pour retrouver l’algue soi-disant magique. Il a vu juste ! Arrivée sur l’embarcadère, il voit Marie partir sur un canoé. Il a tellement peur qu’elle tombe d’épuisement, il saute à son tour avec John dans une barque. Aveuglé par la peur, il ne se rend pas compte tout de suite du spectacle féérique qui s’offre à lui. C’est John qui le ramène à la réalité : « Regarde papa ! c’est tout allumé sous l’eau ». John a du mal à comprendre, il baisse la tête et cligne des yeux pour être certain que la fièvre n’a pas pris possession de ses sens. Sous l’eau il observe un ballet majestueux, les poissons sont réapparus. Ils dansent avec des algues phosphorescentes, illuminant les rochers et les coquillages miraculeusement de retour. A nouveau la voix de John le sort de sa torpeur. « Papa, Marie est dans l’eau, elle nage ! »
Le spectacle de la vie se déroule devant leurs yeux. Marie est en effet dans l’eau, elle nage au milieu des algues et des poissons, ils peuvent entendre son rire et la douceur de sa voix parmi le clapotis de l’eau. Elle leur fait un grand sourire et dit « Alors papa, est-ce que maintenant tu nous crois ! » puis elle ajoute « les hommes auront beau détruire la nature, elle est bien plus grande que nous …. »