Lettre à ma fille

Récit imaginé par Natacha de Santignac, Carole, Dorothée Thévenaz et facilité par Jeanne Bernard, lors de la soirée futurs proches consacrée à l’après-coronavirus, le 16 avril 2020.


Lettre à ma fille, le 17 novembre 2020

Chère Alizée

T’écrire cette lettre, pourquoi? Le papier et le stylo me démangent, certes, mais demain, ton arrivée nous permettra à tous et toutes de trouver la joie après avoir pansé nos plaies et rendu hommage à nos disparu.e.s.

Mes premiers mois de grossesse ont été très perturbés par le coronavirus, pour lequel nous aurons probablement un vaccin bientôt.

Je suis chanceuse d’être passée entre les gouttes, mais beaucoup d’ami.e.s autour de nous ont perdu des proches. Pendant cette maladie nous avons été confiné.e.s de nombreux mois du fait de notre peur collective de la mort. Celle-ci rôdait partout. Elle avait envahi nos esprits et consciences collectives, alors même que nous n’y faisions pas attention avant, lorsqu’elle touchait d’autres pays, d’autres conflits, loin de nos vies, si loin. Mais à notre porte, elle était tout d’un coup devenue inacceptable.

La sortie du confinement a conduit à une nouvelle vague de décès, suite à des mutations du virus, il a touché largement des enfants. D’abord loin de nous, à Eme Shan en Asie. Cela ne nous a pas préoccupé.e.s plus que d’habitude, puis nos écoles ont, à leur tour, été touchées. Cette proximité de la mort, inhabituelle dans notre société, nous a initialement semblé dramatique. Progressivement, la situation nous a conduit à réfléchir différemment à notre rapport à la vie, à la mort. Alizée, je te demande pardon, de n’avoir pas fait partie moi-même de celles et ceux qui ont réagi plus tôt, qui ont élevé leurs voix pour montrer que nous étions toutes et tous égaux. Merci à eux !!

Mais, je suis sereine aujourd’hui : la crise sanitaire semble derrière nous désormais. D’autres suivront, elles prendront d’autres formes, coûteront d’autres vies. Si je ne devais retenir qu’une seule chose, cependant, de ces quelques mois post-confinement, ce serait cette attention différente portée à la vie de toutes et tous, à la vie de chacun.e. Pas simplement celle de nos proches, celle de ceux qui nous ressemblent. Mais cette reconnaissance, enfin, que la vie de chacun.e compte, qu’il s’agisse de notre enfant ou parent malade, ou, bien plus loin de nous, d’une personne qui se bat contre son gré dans un conflit qu’elle n’a pas déclenché, ou qui souffre de la faim. Reconnaissance, puis acceptation, en contrepoint, de la mort quand elle vient.

Aujourd’hui, nous avons plus de facilité à accepter le départ de celles et ceux qui nous sont proches, à qui l’on est attaché.e.s, tout en étant plus concerné.e.s par le sort, les vies et donc la mort de celles et ceux dont on ne se souciait pas auparavant.

Je suis heureuse que tu arrives dans ce monde. Tu fais désormais partie d’une communauté d’êtres humains qui est plus forte et solidaire et qui continue de construire un avenir partagé.

Avec tout mon amour

Maman

Capsule réalisée par Antonio Meza lors da la soirée du 16 avril, 2020. www.antoons.net