Les jardins partagés comme nouvelles places du village

Récit imaginé par Elodie Martin, Isabel Vérit, Apolline Rasseneur et Charlotte Dauwe et facilité par Vanessa Weck dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 5 juin 2023.

Thème de l’atelier : Et si en 2035,  nous vivions dans une société résiliente face aux crises, unie dans l’action et animée d’espoirs lucides ? 


Moi, Iris, 25 ans, thésarde et jeune maman. Il y a 15 ans en arrière, ma situation aurait été peu enviable, mais aujourd’hui la communauté du Jardin de Babylone à Grenoble me permet d’assumer pleinement les différentes facettes de ma vie. En effet, face aux différentes crises – environnementale, sociale, démocratique… – les communs ont été remis au cœur de la prise de décision et la vie en société s’articule autour des jardins partagés, nouvelles places de villages présentes dans chaque quartier. Je m’implique chaque semaine dans la vie du Jardin de Babylone en cultivant des légumes et des fruits qui contribuent à notre souveraineté alimentaire à tous, en proposant des cours de yoga adultes, seniors et enfants-parents et en participant aux Cocommuns (réunions de décision collectives et actions d’entraide). En échange, je peux bénéficier d’un panier à tarif solidaire, et les citoyens du groupe enfants se relaient pour garder Axel et lui proposer des ateliers de découverte du vivant : éveil sensoriel, art à partir d’éléments naturels, permaculture, empathie… La vie se déroulait, frugale et douce, jusqu’à ce catastrophique été.

Ce mois caniculaire de juillet apporte son lot de challenges. La chaleur nous abrutit et les plantations souffrent du stress hydrique.  Axel a du mal à faire ses nuits, et il ne parvient pas à dormir plus de quelques heures d’affilée. Il se réveille en sueur et ne parvient pas à se rendormir sans un linge humide et frais contre sa peau. J’ai de la peine à le voir lutter pour trouver le sommeil. Bérangère, ma « soeur/coeur-coloc »,  m’aide énormément avec Axel. Iels ont un lien privilégié. Elle est d’un immense soutien les nuits où j’ai besoin d’écrire ma thèse. Mais ces difficultés ne sont rien comparées à ce 10 juillet 2035. En cet après midi où je prospectais pour un travail après ma thèse, l’écran de mon ordinateur s’est éteint. J’ai d’abord cru avoir oublié de le brancher. Mais rien n’y fait, l’appareil ne voulait pas redémarrer. Quelques instants après, j’ai entendu des cris venant du jardin. En me dirigeant vers la fenêtre, j’ai vu de la fumée. Mon sang s’est glacé en pensant à Axel et à mes amilles (familles et amis) participant à l’atelier d’éveil à la permaculture. Ne pensant qu’ à elleux, j’ai accouru pieds nus à leur côté. 

Le jardin était méconnaissable. Les arbres du verger étaient calcinés, les aubergines et les poivrons transformés en cendres. La communauté du Jardin de Babylone pleurait la disparition de son jardin. En quelques minutes, des mois de travail avaient brûlé. Il fallait tout recommencer. Bastien, qui habitait dans la maison violette, commença sans un mot à déblayer, puis un à un, nous nous somme sommes mis à enlever les cendres et protéger les pousses survivantes. Même Axel poussait des petits cris depuis sa poussette pour nous encourager.

Les jours suivants furent entièrement consacrés à la reconstruction de notre Babylone. Les habitants des quartiers voisins nous aidèrent en apportant des boutures et des jeunes pousses de leur propre jardin et même de l’eau. Sans oublier leurs aides précieuses. Avant l’incendie, nous étions fiers de notre Jardin et on le comparait aux autres. Aujourd’hui, les autres jardins sont venus à notre rescousse.

Le courage revenait avec le travail et je m’y suis investie comme personne, oubliant même parfois ma thèse. Le travail donnait faim, et une partie de nos réserves alimentaires étaient parties en fumée. Ne voulant pas puiser dans nos économies pour acheter de la nourriture au supermarché, nous essayons de manger le plus raisonnablement possible. Nous devînmes inventifs dans nos repas, renforçant notre solidarité autour de ces repas frugaux.

Même si nous avons réussi, solidairement, à relancer la vie du quartier, l’incendie a révélé de nouveaux enjeux et besoins au sein de la coordination du jardin de Babylone. Par exemple, il a été proposé de renforcer le réseau alimentaire urbain pour se soutenir davantage entre quartiers et potagers ; ou encore certains habitants ont proposé de varier les lieux de culture locales et de stockage de nourriture, ainsi que lieux de rencontre au cas où le jardin serait à nouveau soumis à un stress. Lors de la réunion Cocommuns post-crise, les habitants du quartier ont, ensemble, décidé de créer un poste de « coordinateur.ice de jardins partagés » afin de renforcer les liens sociaux et la communication territoriale afin de mieux anticiper et gérer les crises et tensions à venir! Ils m’ont d’ailleurs proposé d’occuper le poste à mi-temps et de m’accompagner pour une demande de financement pour ce type d’initiatives, une belle opportunité m’attend alors !

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