03 Juin Les étoiles du Limousin
Récit imaginé par Mathilde Schaffer, Laura Mathieu, Léa Pascal, Nathalie Henrion et facilité par Laurence Druon dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 3 juin 2021.
Thème de l’atelier: Et si l’école de demain s’imaginait dès aujourd’hui, comme une opportunité pour apprendre à prendre soin de soi, des autres et de la planète ? Et si la valorisation des talents devenait la nouvelle norme ? Y-aurait-il encore des écoles en 2050? Quelle forme auraient-elle ? Et si cette école regroupait adultes et enfants ? Et si cette école était nomade ou buissonnière ou autre chose encore ?
Une jeune femme élancée sort du centre médical. La mine déconfite elle s’engouffre rapidement dans un taxi pour rentrer chez elle. Il s’agit d’Alex, en couple avec Thibaut. Depuis maintenant 5 ans, ils essaient d’avoir un enfant. Le verdict vient de tomber: elle est stérile ! Ce n’est pas vraiment une surprise car depuis maintenant 20 ans, malgré les progrès de la médecine, la fertilité des femmes baisse régulièrement. Alex a plusieurs de ses collègues qui sont touchées. Seulement, pour Alex et Thibaut, ce futur bébé, c’était un vrai projet de vie. Depuis leur rencontre, ils en parlaient.
Alex ressent alors le besoin de se trouver au contact d’enfants et décide de quitter Lyon pour partir se mettre au « vert ». En effet, depuis 10 ans maintenant, conscientes de la nocivité de la pollution sur les jeunes organismes, les familles avec enfants vivent dans des écoles-lieux dans les campagnes françaises. Alex a vu un reportage dernièrement sur l’Oasis de l’Ecole de la vie dans le Limousin et décide de s’y rendre immédiatement. Elle prend rapidement quelques affaires dans un sac et laisse un mot sur la table de la cuisine: « c’est trop dur ! besoin de retrouver ma joie de vivre intérieure. Je ne sais pas quand je reviendrai … peut-être jamais ! « Les larmes aux yeux, Alex prend un monobulle. Plusieurs couples sont avec elle. Certainement ont-ils un projet de naissance et vont visiter les différentes oasis qui se trouvent sur le chemin. A chaque arrêt, le monobulle se vide un peu plus.Le lendemain, à 9h, Alex arrive enfin à l’oasis de l’école de la vie.
Alex se promène à travers les petites maisons en terre-paille, garnies de devantures de glycines odorantes. Assis à la table de la terrasse, se trouve Ibrahim, 86 ans et son petit fils de 13 ans : Ihad. Ibrahim a migré d’Algérie en 2040 à cause du réchauffement climatique. Il est venu s’installer dans le Limousin et a fondé cet oasis. Pour cet ébéniste, rien de mieux que d’apprendre à faire les choses soi-même, et de transmettre ses connaissances autour de soi. Ce lieu n’est pas seulement un hameau, un potager et un verger, il est devenu une école. Petits et grands y vivent dans le partage, la bonne humeur et la bienveillance. Alex rencontre des migrants sénégalais, qui viennent faire voyager les enfants à travers leur musique. La jeune femme est étonnée de l’absence d’enseignants. En effet, chacun apprend auprès des autres, de manière inter-générationnelle. Des cours de jardinage, de cuisine, de communication non violente, et des excursions dans la forêt sont proposés par ceux qui ont envie de les animer. Ici, on favorise les échanges locaux et on tend vers l’autonomie et la sobriété. Chaque matin, pour bien démarrer la journée, a lieu un cercle d’écoute et de communication bienveillante, où chaque personne expose sa météo intérieure. A l’Oasis de l’Ecole de la vie, on prend soin de soi, soin des autres, et soin de la Terre.
Au fil des jours, Alex apprend à connaître les personnes de l’école-lieu. Les enfants, les adolescents, les parents, les plus âgés. Il y a tous les profils, elle retrouve chez certains une joie de vivre et une innocence, comme elle les a vécues dans son enfance. Chez certains autres, beaucoup de tristesse est encore présente, sûrement de ce qu’ils ont vécu dans une autre vie. Celle d’avant l’école-lieu. Ce mélange de personnes est surprenant et chacun apprend des uns et des autres, chose qu’elle n’avait plus vu depuis des années à Lyon. Alex se sent intriguée et sent en elle une profonde envie de découvrir le parcours de chaque personne et de chaque histoire. Prendre le temps d’avoir une conversation avec quelqu’un en ville était presque devenu quelque chose d’oublié. Alex se rend compte, qu’en prenant le temps de discuter et en s’intéressant aux autres, ils s’ouvrent peu à peu à elle. Comme si c’était la baguette magique qui manquait. La clé pour ouvrir les portes encore verrouillées. Peu à peu, elle aperçoit quelque chose de lumineux qui apparaît dans tous les yeux des personnes avec qui elle discute. Celui qui l’intrigue le plus, pourtant, c’est Ihad, toujours à ses côtés. Il l’accompagne partout et écoute d’une oreille tout ce qui se dit. Il ne parle pas beaucoup mais on dirait qu’il est toujours dans un monde à lui. Une complicité se crée entre eux, mais sans parler cette fois-ci, seulement par les gestes et par le regard. Cela semble être tout aussi important que les mots. Alex ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête d’Ihad, mais elle ne le juge pas. Peu importe, elle comprend quelque chose d’essentiel : chaque personne est différente et a sa propre manière d’être, il suffit de l’accepter.
Un matin, quelqu’un toque à la porte d’Alex et elle croit rêver de reconnaître la voix familière de Thibaut qui lui souhaite un bon matin. Elle ouvre les yeux et c’est bien Thibaut qu’elle voit dans le cadre de la porte. À sa main elle reconnaît le papier crème sur lequel Ihad dépose ses poèmes. Thibaut n’avait plus qu’à suivre les indications pour retrouver sa bien-aimée. Elle lui fait découvrir allègrement son nouveau monde et Thibaut trouve sa place auprès des jardiniers de cette école-lieu. Par un de ces beaux soirs de fin d’été, la fraîcheur enfin retrouvée, Alex se blottit auprès de Thibaut au coin du feu collectif dans le centre du village. Le feu délie son coeur et prise d’un élan de communication, elle lui explique enfin ce qu’elle a ressenti lorsque le verdict de son infertilité est tombé et son besoin de partir. Qu’à défaut d’avoir trouvé son rôle dans la société, elle a trouvé sa place dans le coeur d’Ihad et sous les étoiles du ciel du Limousin. À ce moment-là, Ibrahim, lui lance un regard enrobé de sagesse. Avec un sourire malicieux il lui dit: « Ne vois-tu donc pas toutes les étoiles que tu as réussi à allumer dans les yeux des habitants de notre oasis? Ta place, tu l’as créée toi-même en nous rapprochant les uns des autres et en nous permettant d’apprendre ensemble. »