L’embarras du choix

Récit imaginé par Joëlle Soyer, Stéphanie Schwitter Glassey, Paul Michel, Delphine Ekszterowicz et facilité par Lauriane Pouliquen-Lardy dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 10 mars 2022.

Thème de l’atelier:  Et si demain notre genre n’était plus attribué à la naissance mais choisi à l’âge adulte ? 


A Bordeaux, entre la ville et la Garonne qui charrie les boues de la dernière pluie, s’étend la surface lisse de l’esplanade où souffle une légère brise de fin d’après-midi. C’est presque l’heure de l’apéritif. Au ‘Pluriel’, Alex, en service de bar, accueille et prépare les boissons. Etudiant.e en restauration de biotope urbain, iel gagne ainsi un peu d’argent pour vivre. Ce travail représente un défi pour sa timidité naturelle. L’écran mural diffuse les dernières informations régionales lorsque Basil.e, très grand.e, ses longs cheveux détachés, entre et s’accoude au bar. Il vient y attendre un.e de ses amoureux.se avec qui il a rendez-vous. Il s’amuse en attendant à observer Alex qui « gère » ses client.e.s.


Pour la troisième fois, Alex doit demander à la personne de l’autre côté du bar de répéter sa commande. La femme, très maquillée, au sourire carnassier, se moque puis disparait dans la foule, son verre à la main. Elle semble si sûre d’elle, de qui elle est, de ce qu’elle fait. Alex l’envie. A toute force, ielle tente de détourner ses pensées de la seule direction qu’elles semblent vouloir prendre : le choix. Demain, Alex a dix-huit ans. Demain, son père viendra au réveil, tout excité, lui dire « Alors ? ». Demain, il faudra se rendre à l’état civil et annoncer le genre qu’ielle souhaite se voir attribuer. Or, Alex n’en sait rien. Durant toutes les premières années de sa vie, la question ne s’est jamais posée. Ielle se sentait bien, libre d’exprimer chaque jour ce qu’ielle sentait en luielle, de se vêtir, se comporter et se présenter tel qu’ilelle se sentait être ce jour-là. Son enfance avait été douce, fluide, libre. Dès l’adolescence, ielle avait senti que ses camarades semblaient savoir ce qu’ils et elles choisiraient, le moment venu. Luielle non. A l’arrière plan, son regard se pose sur l’écran de télé qui s’est arrêté de diffuser les nouvelles régionales pour une annonce gouvernementale. La propagande de genre. Alex soupire. « De plus en plus de personnes ne choisissent pas. Ne soyez pas comme elles, ne plongez pas la société dans le flou, jouissez de votre droit, faites votre choix ! ». Las, ielle se dirige vers les toilettes, afin d’échapper au flot d’injonctions. Là, à l’instant de pousser la porte réservée aux moins de dix-huit ans, son regard se fige sur les portes avoisinantes où deux petits pictogrammes représentent un homme et une femme. Il est comme paralysé. Les larmes lui montent aux yeux. 


Une voix tire Alex de ses pensées.- Si tu reste planté comme ça trop longtemps, tu vas finir par faire dans ta culotte ! Qu’est ce qu’il se passe ? Tu as l’air perdu planté là…Basil.e l’observe. Face à sa mine à la fois amusée et bienveillante, Alex se livre sans réfléchir :

– J’ai 18 ans demain, tu vois ? Il rougit aussitôt.
– Ah, le grand choix approche !- Oui… ça me paralyse.- Alors pourquoi choisir ? Fais comme moi, ne choisi pas !
– Ne pas choisir son genre, c’est possible ?
– Bien sûr ! La société actuelle nous impose une segmentation en différentes catégories, dans lesquelles je ne me reconnaissais pas. Celles-ci n’ont pas de sens pour moi. J’ai fait choix de ne pas choisir.
– Mais alors, comment te définis-tu ?
– Comme toi tu l’as fait jusqu’à aujourd’hui ! La catégorisation Homme / Femme n’est pas importante pour moi, elle ne reflète pas mon identité profonde : je préfère me définir par d’autres valeurs. Je peux dire par exemple que je suis une personne sensible, joyeuse, … Peut-être que ton choix doit être le non-choix ? Te sentir libre d’être tout simplement. Et si on relançait le débat ? Viens je vais te présenter à mes amis.

Bazil prend Alex par l’épaule. Un sourire songeur et apaisé s’esquisse sur son visage