Le banquier des tomates

Récit imaginé par Françoise BADEL, Chloé MARQUIS,  Fatiha KENEF, Cécile CATALANO et facilité par Marie-Luce STORME dans le cadre de l’atelier d’écriture collective futurs proches, organisé en partenariat avec le Département du Territoire de l’État de Genève, au 3DD, Genève, le 07/07/2022.

Thème de l’atelier :  Et si demain, la participation citoyenne bousculait le territoire du Grand Genève ?  


Tous les jours, Sébastien et Lucien se croisent sur le palier de leur appartement respectif, au dernier étage d’un immeuble du centre de Genève. Ils quittent tous les matins leur logement. Lucien se hâte de rejoindre l’université pour étudier la botanique, pendant que Sébastien est heureux de retrouver ses plants de tomates du potager sur le toit.
Leurs regards se croisent à peine et on distingue difficilement leurs salutations matinales.

Sébastien est un enseignant retraité depuis quelques années. Il vit seul et a pour unique passion de cultiver de multitudes de variétés de tomates. Il a récolté pendant ses voyages des graines de variétés rares de tomates. Il affectionne particulièrement de se retrouver seul et serein sur son toit tous les jours, sans que personne ne vienne le déranger.

Lucien est un jeune étudiant de 19 ans. Il est passionné d’innovation et de nouvelles technologies. D’un caractère réservé, il aime travailler seul sur ses recherches d’innovations en botanique. Il perpétue chaque jour ce train-train quotidien sans échanger…

Comme tous les jours, Sébastien monte pour profiter et embellir son jardin qui ressemble à une œuvre d’art. Il garde précieusement ses graines dans sa poche de pantalon. Il pense déjà à les planter et à sa future récolte. Aujourd’hui, il rêvasse et il ne prête pas attention à l’arrivée soudaine de Loulou, un ara. Celui-ci s’est échappé de la cage dorée où il était enfermé. En voulant l’attraper pour le ramener à sa voisine, il trébuche et tombe lourdement sur le sol. Dans sa chute, il a laissé échapper ses précieuses graines que Loulou picore avec allégresse. Sébastien est effondré mais ne peut se relever pour arrêter le massacre. Résigné, il appelle les secours qui le prennent en charge car sa jambe est fortement abîmée. 

Dans l’ambulance qui l’emmène à l’hôpital, il aperçoit Lucien. Il lui crie quelques mots inaudibles. Lucien se rapproche du véhicule et discute de l’état de santé de Sébastien avec les ambulanciers. Il promet à Sébastien de le visiter à l’hôpital et de s’occuper de son jardin.

Lucien se demande « mais comment allait-il s’occuper du jardin de Sébastien ? » Bien que ses études concernaient la botanique, il n’avait jamais jardiné de sa vie. Sa timidité l’avait empêché de participer au jardin botanique de l’université. De son côté, Sébastien, coincé dans son lit, déprimait.

Lucien lui, avait entendu parler des jardins partagés. Le lendemain, il décida de contacter le référent Espaces Verts de la Ville pour avoir une chance de donner à déguster cet été des belles tomates aux multiples variétés. Le référent lui donna plusieurs contacts. Il apprit que certains habitants passionnés s’étaient spontanément regroupés en collectif pour échanger des graines et pouvoir les transmettre aux générations futures. Sensibilisé par ses études en biodiversité et en contact avec tous ces jardiniers, il proposa la mise en place d’une borne de conservation de graines qui permettrait le don et les échanges et qui serait ouvert à tous les habitants. Par ce biais, il put retrouver les mêmes variétés que Sébastien souhaitait planter.

Ce jour-là, Sébastien monta en grimaçant dans le taxi qui le ramenait chez lui. Il avait encore mal et il savait qu’il lui faudra encore du temps pour pouvoir jardiner comme avant. Il rentrait chez lui seul. Il avait secrètement espéré que Lucien serait venu le chercher, mais c’est vrai que Lucien était toujours à vélo. Sur sa porte, il trouva un panneau « On vous attend sur le toit ».

On ? Lucien, peut-être ? Lorsqu’il ouvrit la porte, il découvrit les magnifiques plants de tomates de Corée du Nord. Ses préférées. Et là, Sébastien se dirigea vers la terrasse. Et là, il vit surgir de derrière les palissades rouges de tomates, tous les membres des associations, les voisins, les ingénieurs qui avaient travaillé avec eux, avec Lucien et même le banquier qui avait investi dans le projet de banque de tomates. La nuit fut longue et gourmande.

Les graines les plus rares étaient maintenant sauvées et nourriraient toute la région. Il était heureux et le lendemain, en s’apprêtant à descendre prendre son café, il trouva devant l’ascenseur. Lucien. Tous les deux se firent un grand sourire. « Bonjour ! »