Le vélocipédor

Récit imaginé par Etienne LAVOINE, Ingrid LEDUC et Sylvie COURCELLE et facilité par Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 22 octobre 2022 en partenariat avec la Station Maïf de Rennes

Thème de l’atelier:  Et si en 2035 la voiture individuelle était devenue obsolète ?


Comme tous les mardis, Jean, père célibataire de 35 ans, est attendu à 8h30 précises à l’hôpital de Rennes, où il travaille comme infirmier au service des urgences. Le timing est serré, mais ça y est, il est 8h, les jumelles sont parties à l’école ; il attend sur son perron la « navette des soignants », lui permettant de parcourir les 30 kilomètres qui le séparent de l’hôpital en seulement 30 minutes. Un itinéraire facile en somme, depuis la fin de l’ère de la voiture individuelle. Il espère néanmoins que ses voisins ont réussi à s’organiser en ce jour de grève nationale des transports en commun. Au moins, il n’a pas ce problème, la navette ne devrait plus tarder. 8h03, le téléphone sonne. C’est Christian, le chauffeur…

Jean vient de raccrocher. Une panne, sérieusement ? Sur un véhicule de sécurité publique, de sûreté générale ? Le nombre de véhicules en circulation a quoi, été divisé par 100 ou plus ? Les garagistes et les mécaniciens sont surnuméraires. La panne ne devrait plus être possible. 

Il essaie de se souvenir de la procédure d’urgence. Son assistant numérique lui retrouve le passage en quelques secondes. Il y a toujours une solution pour parer aux imprévus. Il doit récupérer un Vélocipedor, l’un de ces vélos à batterie technique ultra-performant qui lui permettra d’arriver au service des urgences en un peu plus de 20 minutes. Son assistant numérique n’arrête pas de sonner. Le nombre des prises en charge au service des urgences ne cesse d’augmenter. Les gens surexcités se battent à la station de vélos pour prendre les plus rapides et se rendre au travail. Il y a plus de cyclistes que d’habitude sur les pistes et, logiquement, plus d’accidents. 

Avec son appli de voisinage, Jean peut communiquer en direct avec ses voisins dans un rayon de 1 km. Jeanne, sa voisine, reste télétravailler aujourd’hui et lui propose sa trottinette électrique pour aller le plus rapidement possible jusqu’à la station de vélos. Elle sonne à sa porte 4 mn après. Elle a pris la juste mesure de l’urgence. Jean enfourche la trottinette, son assistant lui dicte en temps réel le trajet, droite, gauche puis de nouveau à droite. Il n’a pas l’habitude, il fait partie des fonctions privilégiées avec la navette. 

C’est la cohue devant la borne. Les Vélocipedors sont des vélos riches en ressources rares, ultra performants et ultra chers. L’algorithme qui fixe leur tarif de location en temps réel est monté en flèche avec l’annonce de la grève générale et seuls les ultra-riches ont pu se permettre de le prendre. 

Ouf, il en reste un !

Il compose son code prioritaire sur le digicode, puis sur l’antivol du vélo et le sort sur le trottoir. Il flash le QR code qui lui donne le mode d’emploi de ce Vélocipétor super performant qu’il ne connait pas. Les fonctions défilent : hyper vitesse de l’assistance électrique, géolocalisation et affichage du trajet pour aller à l’hôpital uniquement via des pistes cyclables en site propre…)

Dès le premier coup de pédale, il a une sensation de fluidité et de rapidité : il adore ce vélo. Son cerveau fonctionne a plein régime et il comprend qu’il sera a l’hôpital dans 20 minutes, juste à temps pour prendre son service aux urgences.

Le long du chemin, ils voient des gens qui galèrent, la grève des transports publics et surtout du tram, jettent les gens sur les routes sans solutions. Ils sont en panique, stressés, agressifs et furieux. Au croisement de la rue de la République, il voit le square qu’il connait bien ou des personnes reprennent leur souffle sur les bancs publics, autour de cette sculpture multicolore faite de voitures empilées, qui ont été reconditionnées par un collectif d’artistes pour devenir des aquariums géants, refuge de poissons bigarrés et d’algues exubérantes.

Il progresse vite, il ne fatigue pas. Ce vélo très High tech est un serviteur loyal.

Il arrive au début de l’avenue Paul Doumergue, il sait que l’hôpital est au bout. Le capteur de son vélo envoie son code personnel de soignant et la barrière s’ouvre automatiquement. Il va au box pour à vélos et dépose, à regret, son Vélocipétor dans l’espace dédiés aux soignants. 

Il rentre dans le bâtiment des Urgences d’un pas pressé et se dirige vers le vestiaire du personnel. Concentré, il fait la suite en pilote automatique : se désinfecte selon le protocole et passe sa tenue et rentre dans le bloc opératoire. En arrivant, il voit le regard soulagé du chirurgien, ravi de voir arriver son infirmier anesthésiste habituel pour cette opération.