Le temps selon Vidya ou une journée avec Vidya

Récit imaginé par Géraldine Huet, Carol Bonvin,  Lauriane Pouliquen-Lardy et facilité par Lucien Schiltzdans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 18 février  2021. 

Thème de l’atelier: Réhabiliter le temps long “Et si en 2045, toutes les décisions politiques, sans exception, se prenaient au regard du temps court et du temps long ?“


Il est 5h du matin, Vidya ouvre la porte de sa maison-hutte pour commencer sa journée avec le lever du soleil.

Quelle n’est pas sa surprise de tomber nez à nez avec la cheffe des sages. Celle-ci vient lui annoncer qu’elle a été choisie pour représenter la communauté au conseil international du temps long. Elle doit donner sa réponse avant le soir. Passée la surprise de la nouvelle, Il semble important d’y aller, mais, c’est contraire au principe qui est appliqué dans sa communauté: prendre au moins une journée pour prendre une décision. Nul n’a oublié en effet, qu’il y a 4 ans, une grave crise déchira la communauté qui se retrouva partagée entre deux camps alors qu’une décision importante devait être prise. 

Vidya avait alors 12 ans quand n’écoutant que son cœur, elle proposa aux membres de sa communauté de remettre la décision au lendemain pour que les esprits s’apaisent. Tout le monde était sur les nerfs, mais dans cette communauté on avait l’habitude de donner la parole aux enfants, même pour les décisions importantes. Vidya exposa son avis, convainquit les sceptiques, calma les excédés en rappelant les vertus d’une bonne nuit de sommeil pour avoir les idées claires. Elle rappela que c’était l’un des enseignements des sages lors des cours de permaculture, qu’une autre solution pourrait peut être émerger pendant la nuit. 

Les adultes épuisés par de longues joutes verbales finirent par suivre les conseils de la jeune enfant et la communauté prit ce jour là une résolution décisive pour le groupe. Depuis cet événement, toutes les décisions de la communauté sont prises de cette manière et Vidya a conservé une aura particulière auprès du conseil des sages . Avant d’acter et d’appliquer une décision, on laisse désormais  passer une journée. Si aucun membre n’a de nouvelle objection, alors seulement la décision est prise. Cela a apporté de l’apaisement, des idées nouvelles sont apparues, de nouvelles personnes ont osé faire entendre leur voix, les divisions ont disparu et la communauté s’est renforcée.

A l’échelle mondiale, le conseil international du temps long a pris l’habitude de faire intervenir des citoyens de tous horizons et de toutes les régions du monde pour représenter des savoir-faire, des idées, des processus éprouvés sur le terrain. Les pratiques novatrices de la communauté de Vidya sont parvenues aux oreilles des membres du conseil international qui ont eu très envie de comprendre les raisons de son fonctionnement harmonieux. Ce mois-ci, la communauté de Vidya a été contactée pour envoyer un représentant auprès du conseil international. Le conseil des sages de la communauté a sans hésiter désigné Vidya pour participer au conseil international du temps long et pour aller présenter, défendre ce principe de délai d’une journée pour valider une décision. 

Toutefois, ironie du sort, la nouvelle a mis du temps à parvenir à Vidya : le créneau qui lui est dédié est le soir-même. Le fait même que la cheffe lui suggère d’accepter sans délai la choque : « bien sur que j’ai envie d’y aller, bien sur que j’ai envie de présenter ce principe, mais je ne peux donner une réponse rapide en étant alignée avec ce que je veux défendre« . La cheffe comprend et laisse Vidya revenir vers elle lorsqu’elle aura une réponse. Vidya passe alors une journée pleine de tensions. Tout en effectuant les tâches qui lui ont été confiées pour la semaine (récupérer les vêtements troués laissés devant les huttes pour les emmener au local couture, commencer à les trier avec les autres adolescents du village pour ensuite apprendre les différentes réparations avec les experts en couture et bricolage), elle rumine: « C’est une occasion unique de se faire entendre. Et pourquoi ont-ils attendu la dernière minute ? Pourquoi diable cette demande est elle arrivée si tard ? S’attendent-ils à ce que leur position et leur renommée nous asservissent à leurs règles et calendrier ? Mais je ne peux décemment pas présenter un principe sans l’appliquer moi-même . »

Après une journée exténuante tant physiquement que mentalement, elle finit par respecter son principe et va se coucher sans se présenter au rendez-vous prévu le soir. Elle finit par s’endormir, mais se retrouve vite assaillie par des rêves sombres et un sommeil saccadé. Dans ses rêves, le cours d’eau proche du village monte, tel un tsunami. Elle doit sauver les enfants d’une noyade certaine, mais ses pieds sont enlisés dans la terre.

Au matin, les rêves s’allègent. Un oiseau multicolore vient se poser sur son épaule, il lui susurre un chant merveilleux. Toutes ses cellules s’emplissent de joie et d’amour; elle et l’oiseau rayonnent. Ils volent, sautent, plongent en totale liberté. Au réveil, ses idées sont claires : elle a bien fait, elle veut dire oui et non, oui pour représenter la communauté, mais non pour les conditions qui lui sont imposées. Sachant que le créneau a été raté par sa faute, elle va tout de même en informer le conseil des sages.

La veille au soir, l’étonnement est de mise au conseil international du temps long : jamais depuis sa création il y a 3 ans, une personne n’avait refusé l’opportunité de venir représenter sa communauté. Une graine de doute a été semée chez plusieurs membres du conseil : comment se fait-il qu’un créneau soit resté vacant ? Comment se fait-il que quelqu’un puisse ne pas vouloir venir ? Nos valeurs et intentions sont louables et les enjeux tellement importants : qui ose se détourner d’un si grand honneur, de ses obligations de citoyen responsable  ? Pour eux aussi la nuit est agitée. Certains croisent un oiseau multicolore qui vient leur chanter un chant inconnu, lointain, en y prêtant attention il devient familier, mélodieux, il parle d’égalité.

Au matin du 2 ème jour du Conseil, une réponse arrive finalement de la région du sud de l’Inde : s’ils le souhaitent, Vidya la représentante de la communauté est disponible. Etonnés de ce revirement, les membres du conseil se concertent et acceptent de la recevoir et pour cela dégagent un nouveau créneau, curieux d’entendre cette jeune fille somme toute culottée. Vidya est alors prête à venir représenter les valeurs de sa communauté. Plutôt qu’un discours ou un exposé, elle leur propose avec naturel d’expérimenter le principe de sa communauté et de reporter au lendemain les décisions qu’ils doivent prendre. L’alignement dont elle a fait preuve, sa détermination, le pouvoir qu’elle ne leur a pas laissé et son courage laissent sans voix les membres émérites du conseil international ; le bon sens de Vidya les a touchés droit au cœur, et a permis d’éveiller les consciences. A l’unanimité, le conseil a même été jusqu’à revisiter toutes les décisions de la veille.

3 jours plus tard, cela semblait impossible, mais l’assemblée du conseil international du temps long adopte la mise en place de ce principe de prise de décision différée.