Le son de la fête

Récit imaginé par Nathalie Thomas, Marie Thivoyon, Bérangère Felbabel, Fabien Lopez et facilité par Christine Sausse dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 2 décembre 2021.

Thème de l’atelier : « Le lien dans l’adversité, quels récits imaginer pour créer, entretenir ou réparer des liens dans un contexte d’effondrement? ». Atelier mené en collaboration avec Charline Schmerber, praticienne en psychothérapie éco-anxiété.


Ce petit village oublié de la frontière franco-suisse reprend vie depuis quelques temps, on s’y est rassemblé de nouveau pour vivre simplement et en paix, protégé du monde extérieur, comme disent les plus grands. On a le coeur ici pour replanter ce qui avait été arraché, pour reconstruire ensemble, humains et animaux, et aussi pour faire de belles fêtes. D’ailleurs, aujourd’hui, on fête le printemps, autour d’une grande table, il y a les anciens et les petits. Il y a Prune aussi, petite jeune fille de 17 ans. Prune ne se souvient pas du monde que lui décrivent les plus âgés. Elle vit simplement ce grand moment, curieuse et guillerette, comme à son habitude…

Tout à coup, un son strident sort du vieux poste de radio d’Olivier. On entend un grésillement puis une voix lointaine mais parlant distinctement. Prune et ses amis s’approchent de la machine, c’est la première fois qu’ils entendent cette voix venue de loin. Voyant ce rassemblement et ce bruit inhabituel, c’est presque tout le village qui se retrouve rassemblé en quelques instants. La voix qui sort du poste, inquiète, parle d’un manque d’eau et de récoltes détruites. C’est alors que Prune et les autres entendent le nom de Citadelle. Les anciens se souviennent de ce nom, qu’ils n’avaient pas entendu depuis des années : c’était celui d’un village situé à quelques kilomètres, où ils avaient l’habitude de se rendre avant la pénurie de pétrole. Ce village appelait à l’aide… Tout à coup, Kevin, l’homme le plus âgé du village, se fraye un chemin jusqu’à l’appareil et coupe le son. Prune le regarde interloquée, pourquoi cette réaction? Une discussion animée et des accusations commencent à fuser. La plupart des anciens semble apeurés. Ils veulent que l’on se débarrasse du poste de radio, en arguant que cela ne va apporter que des malheurs à la communauté. Les plus jeunes, eux, veulent en apprendre plus et Prune n’a qu’une idée en tête : courir préparer son sac à dos pour aller voir de plus près ce qu’il se passe à Citadelle et répondre au SOS.  

Devant l’indécision des adultes, et confrontés à ces débats animés et à un tribunal qui se forme, les enfants refusent d’être les juges de leurs parents ou de leurs ancêtres. Ils ne veulent rien apprendre des mondes effondrés, des espoirs perdus ou des peurs. Epargnés de la souffrance, ils se découvrent capables d’émerveillement et de confiance. Prune, sans attendre une décision du village, et s’appuyant des valeurs d’entraide de la communauté, sent grandir une évidence. Elle peut agir, elle peut être le lien entre les communautés. Tout naturellement, elle prend son sac a dos et commence à marcher. Comme les enfants et les animaux autour d’elle, dont certains se mettent à la suivre, elle est portée par l’élan d’un monde qui veut naître. La Nature leur donne de la sagesse et du courage. Elle guide leurs pas vers le village voisin et vers leur avenir. Dans le village, les fleurs du vieux prunier, que l’on croyait mort, se préparent à refleurir.