Le goût de l’expérimentation

Récit imaginé par Angela Alfaro, Aline Barrault, Elen Dubos et William Oechsner de Coninck, et facilité par Hélène Chesnel dans le cadre de l’atelier organisé par Imagine LA et futurs proches le 14 avril 2023.

Thème de l’atelier : Et si, en 2050, le travail était une activité épanouissante, désirée et respectueuse de chacun ?


Dialogue entre Jules et son date, Mélaine. Iels sont chez lui et dînent.

Je guette sa réaction, mais, pour l’instant, iel ne laisse rien transparaître. Dès la deuxième bouchée, en revanche, iel esquisse un sourire de satisfaction.

– « Haaaaaan mais tu es bourré de talents, tu sais même cuisiner !

– Ça n’a pas toujours été le cas, j’ai appris récemment.

– Ça a l’air d’être une histoire, tu veux bien me la raconter ? »

Mélaine s’installe au fond de son fauteuil et se ressert un petit verre de Malvoisie.

« Comme tu le sais déjà, je travaille au Tiers-lieu Zone à Comprendre où je suis prof. La ZAC c’est l’ancien centre commercial géant, bétonné et moche, juste à côté d’Ancenis, qui a été réhabilité en petit paradis sur Terre.

Quand j’y suis arrivé, c’était pas évident. Tu sais, j’ai grandi dans une école républicaine classique et c’est comme ça que j’ai appris à enseigner. Et, à la base, je suis prof de math, donc plutôt cartésien et très spécialisé. D’ailleurs, à l’agrégation, c’est ce qu’on nous demandait : être précis et spécifique.

Et puis j’ai voulu changer d’environnement : je commençais à tourner en rond, à avoir le sentiment de me répéter. Donc j’ai pris les devants et j’ai postulé à la ZAC. Je sais pas si t’es déjà allé à la ZAC, mais c’est immense. En fait, c’est un ensemble de bâtiments réhabilités en centre d’apprentissage. C’est très expérimental : il y a plusieurs hangars qui ont chacun une spécialité. Certains sont dédiés à la botanique, d’autres à l’histoire et d’autres encore aux mathématiques. Chaque bâtiment est décoré de land art et a été réapproprié par les apprenants eux-mêmes. Par exemple, par de la re-végétalisation ou par des dispositifs d’accessibilité pour tous les âges et tous les corps.

Tous les individus ont accès à tout et l’apprentissage de chacun et chacune, et je dis bien chacun et chacune, est basé sur la curiosité personnelle. C’est autogéré, tout le monde participe à la vie du lieu.

Tu penses bien :  je suis arrivé un peu perdu et peu à l’aise dans cet environnement. J’ai naïvement demandé où étaient les classes et où étaient la salle des profs, la photocopieuse, etc… Ma tutrice m’a tapé dans le dos et m’a dit : « Suis-moi, ici, c’est un peu différent ».

Très vite, on m’a montré mon planning d’enseignant, certes, mais aussi celui d’expériences collectives. Il fallait que je participe à des tâches comme l’entretien des potagers et me mettre à la cuisine. J’étais très stressé car ça n’a jamais été mon fort, ça ! Je sais manipuler des nombres complexes mais les poivrons… c’est mon complexe.

J’ai angoissé jour et nuit jusqu’à ce que ce jour arrive. Comment allais-je réussir à cuisiner pour 120 personnes alors que je sais à peine me faire des pâtes ?

Et le temps des cuisines vint. Je me suis présenté dans le hangar ciboulette. »

A ce moment de mon récit, Mélaine lève les sourcils, circonspecte. Je reprends :

« Au début je croyais, comme toi à l’instant, que je devenais prof de cuisine. Et, en fait, pas du tout. Je suis rentré dans l’équipe et j’ai rencontré Swan. Swan a 15 ans et maîtrise les arcanes secrètes de la cuisine comme personne. Et c’est iel qu’on appelait chef.fe ce jour-là. Le premier jour où j’ai fait ça, je me suis contenté d’éplucher les patates. J’ai râlé mais ça m’a permis d’observer. Au fil des jours de cuisine qui m’étaient alloués, j’ai pris de plus en plus d’assurance et de plaisir dans la conception des repas pour tout le monde.

Pour me récompenser, Swan m’a appris la recette que tu es en train de déguster. En fait, là-bas, tout le monde est apprenant : j’enseigne toujours les maths mais j’ai pris goût à redevenir débutant à la fois pour mes découvertes mais aussi pour le collectif. »

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