Le chant des possibles

Récit imaginé par Sara Rossigneux, Benjamin Lang et Claire et facilité par Priscille Cadart dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 17 mars 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier :  Et si la France était neutre en carbone en 2050, en faisant le pari de la réparation des impacts environnementaux par la technologie ? (scénario 4)


[Quelque part dans la montagne, une lumière luit encore après le couvre feu… Camille couche son fils en lui chantant une chanson… ] 
Raphaël :  » mais maman pourquoi tu n’as pas de smartphone ? »

Camille : C’est une longue histoire : tout commence en 2050, bien avant ta naissance, j’étais alors étudiante à Grenoble. La vie d’alors était assez différente de celle de mon enfance à Bourg St Maurice, j’étais un peu perdue mais rapidement j’y trouvais un côté grisant dans la facilité de toutes choses. Tout était bien plus technologique : on pouvait acheter de la nourriture en ligne et ça arrivait dans une boîte en bas de l’immeuble, on se déplaçait en voitures autonomes ou en bus sans chauffeur, la ville était parsemée de diffuseurs d’odeurs et de sons de nature.  même les abeilles qui pollinisent les plantes étaient des robots !!
A cette époque, mes cours d’architecture étaient passionnants : on pensait pouvoir construire toujours plus haut, plus grand et plus autonome… je croyais dur comme fer que j’allais pouvoir changer le monde…

[Transition flashback vers sa vie de 2050]

Scène X – 
2050 à Grenoble
Camille sort de chez elle.
Elle utilise à présent avec une très grande dextérité son smartphone pour commander un véhicule autonome, faire ses courses, suivre  ses cours, etc.
Camille arrive devant la fac.
Son téléphone est déchargé. Sans application de géolocalisation, Camille prend un autre chemin que d’habitude pour les derniers mètres.
Dans la rue, elle aperçoit des personnes qui dorment dans la rue. Il y a plusieurs familles.
Camille est rejointe par son ami The(chn)ophile
T : « Hey ne reste pas là, on va être en retard ! Je n’ai pas envie que cela soit enregistré dans mon IA track! »
C : « Oui oui, j’arrive ! Mais tu as vu là bas ? »
T : « Quoi ? ça là ? Ben oui ils sont là tous les jours, allez on leur construira des gratte ciel un jour ! enfin s’ils peuvent se le permettre! Et tu sais que pour les vacances je prends l’avion pour aller aux Seychelles ? Mon père est blindé en ce moment c’est trop la classe ! »
Camille et The(chn)ophile s’en vont vers la fac.
Camille a un visage préoccupé.

Scène X+1
Camille se pèse sur sa balance connectée
Balance : « Vous avez pris 1,5 kg depuis la dernière pesée »
Son smartphone émet immédiatement une notification
Camille lit « Votre assurance vie-climat vient d’augmenter de 70€ par mois. Envie de réduire vos cotisations ? Changez votre régime alimentaire et favorisez le vélo elliptique dans nos salles de gym Techkilo »

Scène X+2
Camille et Raphaël échangent après un cours de chant
R : « Vous avez une belle voix Camille, nous sommes vraiment enchantés que vous ayez rejoint ce groupe de chant ! »
C : « Merci Raphaël, je dois dire que ça me fait un bien fou ! Dans mon village, j’entends toujours les oiseaux chanter et ici ce sont plutôt les véhicules et les abeilles mécaniques que j’entends. »
R : « Moi ça me rappelle toujours les chansons de mon enfance, quand on se baladait dans la forêt en famille !, Chacun sa madeleine de Proust. »

Scène X+3
Camille est devant son smartphone, 
Un message s’affiche : « alerte canicule J+3
Aujourd’hui des températures attendues à 45°C. N’oubliez pas votre e-climatisation »
Camille entend le son de son e-climatisation se mettre en route.
Elle décide de profiter de ce temps pour dessiner son projet de bâtiment puis s’endort épuisée par cette journée de très fortes chaleurs.

Le lendemain
Camille décide d’appeler Raphaël comme après chaque épisode caniculaire.
Le téléphone sonne dans le vide.
Camille rappelle 2, 3 fois. Personne ne répond.
Camille appelle Cyril du cours de chant. 
Cyril : « Non je ne l’ai pas eu au téléphone. Pourtant il appelle toujours les mardis midi car il sait que je dois mettre en route mon éolienne. »
Camille raccroche.
Elle décide de se rendre chez Raphaël.
Elle saisit son smartphone et tape l’adresse de Raphaël.
Le véhicule autonome arrive.
Le thermomètre affiche 42°C de température extérieure.

Arrivée en bas de l’immeuble de Raphaël, Camille monte en vitesse.
Camille ouvre la porte, elle transpire.
Le thermomètre de l’appartement affiche 43°C..
Raphaël est sur le canapé inanimé.
Sur l’écran du salon un message clignote : « Alerte canicule ! Le déclenchement de votre e-climatisation ne sera possible que si vous mettez à jour votre assurance vie-climat sur votre smartphone » et sur un 2nd écran : « Votre assurance ne couvre actuellement pas les coupures de courant. »
Camille regarde la montre intégrée au four et celle intégrée au frigo
« 00:00 » clignotte.

[Transition Flashback : retour vers 2067, dans la chambre à coucher]
Camille : « L’annonce du décès de Raphaël a fait l’effet d’une bombe sur moi. J’avais perdu un grand repère dans ma vie, un soutien solide dans une grande ville où j’étais éloignée de ma famille et finalement un peu isolée. 
Camille parle avec une boule dans la gorge et est émue.

Cet évènement est arrivé dans une période qui était déjà difficile pour moi, où je me posais déjà beaucoup de questions sur le sens de ma nouvelle vie. D’autant que c’était un été particulièrement dur avec des canicules et des pénuries d’eau qui se succédaient. 
Je m’en suis ouverte à mes camarades de classe à l’université, je trouvais cela injuste que Raphaël ait dû mourir juste parce qu’il n’avait pas payé son assurance continuité électrique. Là je me suis sentie plus isolée que jamais, j’étais la seule à penser cela, tout le monde semblait trouver normal ce qui était arrivé à Raphaël. 
On sent la colère monter dans le ton de Camille.

Ca, plus ma santé qui se dégradait, je prenais du poids à vue d’œil, je voyais le monde autour de moi de façon de plus en plus noire, j’avais le sentiment d’avoir vécu avec des œillères et toutes les injustices et les problématiques sociales, sanitaires et écologiques apparaissaient à moi. 
Heureusement, je continuais à aller à mon cours de chant, qui était mon îlot pour me ressourcer chaque semaine. Je me suis effondrée en larmes en racontant tout cela à mes camarades de chant. Ielles me proposèrent d’organiser un recueillement dans l’appartement de Raphaël. Et là, ça a été les plus belles nuits d’insomnie de toute ma vie . Le début de quelque chose de grand et de joyeux qui n’a pas cessé depuis.
Le sourire de Camille revient sur son visage.

Nous avons découvert une bibliothèque immense avec des livres du début du siècle, Raphaël m’en avait parlé mais ne s’était jamais éternisé dessus. Nous nous sommes lus des passages à tour de rôle toute la nuit et nous avons découvert qu’à l’époque d’autres modes de vie alternatifs, plus sobres, plus conviviaux, plus équitables et respectant davantage le vivant, avaient été expérimentés au début du siècle et étaient extrêmement enthousiasmants. Après trois nuits à rêver, fantasmer, et disserter sur ce que nous pouvions nous aussi expérimenter de nouveau, nous avons décidé de lancer une initiative collective « Reprendre le pouvoir d’agir et se reconnecter au vivant ». C’est de là que vient le nom de notre hameau aujourd’hui ».

Camille a un ton nostalgique et serein.

[Plan large sur le hameaux éco-construit] : on voit une assemblée populaire qui se réunit la nuit après le dîner pour décider des responsabilités de chacun.e pour la semaine à venir.