La Renania bleue sous les arbres parasols

Récit imaginé par Hairat Assoumani, Théo ALBERT, Raquel Gomez Robles et facilité par Delphine Ekszterowicz dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 15 juillet 2021 en partenariat avec la Banlieue du Turfu.

Thème de l’atelier: 2050, et si nous nous imaginions la bio-banlieue du Turfu ?


Le soleil brûlant de juillet commence juste à chasser la rosée matinale des arbres parasols. Les activités de la 25ème journée sans voiture ont été installés dès l’aurore sous l’espace ombragé, qui protège de ses feuilles entremêlées les premiers visiteurs. Cela faisait plus de trois mois maintenant que tout le quartier préparait cette journée qui réunissait petits et grands autours d’activités, dans ce grand espace végétalisé qui est venu remplacer les allées bitumeuses du quartier. Les habitants et les associations du quartiers sont présents. Élodie qui est une habituée de cette journée (elle y vient tous les ans avec ses amies) fait le tour des stands pour découvrir les différentes activités. Elle y croise beaucoup de visages familiers, ses voisins, sa famille et ses collègues, personne ne manque à l’appel de cet évènement (ou presque). Alors qu’elle continue son tour de garde, elle croise au loin la jeune Ala, regard évasif qui semble un peu perdue au milieu de tout ce beau monde. Ala vient tout juste d’être élue représentante des générations futures au parlement des vivants et pour sa première commémoration de l’année sans voiture en tant que représentante des GF au parlement des vivants, elle devra faire un discours dans l’après-midi. 
Elodie part à la rencontre de la jeune lycéenne.

Tout à coup, les oiseaux s’envolent dans une nuée affolée, le coup de klaxon qui vient de retenir résonne entre les tours. Bientôt suivis par un deuxième, plus aigu celui-là, puis un troisième, sec et tendu. A l’accord dissonant de ces trompettes de mort, vient s’ajouter un ronronnement menaçant : un moteur diesel lancé à plein régime. Le concert infernal déchire la mélodie vivante tisée au fil de la matinée par les visiteurs du festival. Après le bruit, viens l’odeur : un fumet âcre d’essence brulée fait fuir les animaux et rappelle à tous les temps passés du béton et des bagnoles. 

Le groupe de voitures arrive maintenant à pleine allure sur les visiteurs rassemblés au centre des espaces ombragés soulevant un nuage de poussière opaque et menaçant. Mais d’un coup, et juste avant d’atteindre les piétons, la première voiture pile, suivis de toutes les autres. La première est la plus grosse : un SUV énorme des années 2010. 5 Tonnes de divers métaux pour seulement 5 places, consommation 10 litres au 100, mais un prestige social assuré, du moins à l’époque. Derrière ce monstre, une dizaine de véhicules font vrombir les moteurs pour impressionner les visiteurs et pour faire fuir les animaux. Tout le monde le craignait sans oser se l’avouer : l’association des Amateurs de Voiture de Collection est venue troubler la fête et polluer ce havre de paix non motorisé. 

Un homme sort de la première voiture : une stature imposante et cheveux grisonnants : c’est Max, le chef de l’AVC. Tout le monde le connait, ce militant pro-bitume vient souvent distribuer sa propagande dans les marchés, et il fait des interventions jusque dans les assemblées générales du vivant. Les règles démocratiques lui permettent de s’exprimer, même de rallier à lui un certain nombre de ses amis amateurs de joint de culasse. Là, il vient de franchir un cap: il vient perturber la fête la plus importante du quartier, tout le monde est sous le choc.

Il profite d’ailleurs du silence glaçant pour déblatérer son habituel discours: 
     » Amis de la nature et des oiseaux, bonsoir! 
    Je suis Max, le chef de l’association des Amateurs de Voitures de Collection et je viens mettre fin à votre dictature des khmer verts radicaux !
    Non ! Vous ne nous contraindrez plus à prendre nos vélos alors que nos voitures sont bien plus efficaces !
    *Kof Kof*
    Non ! Nous ne serons plus contraints de respirer les sécrétions irritantes de vos plantes chéries tous les jours *aaaaaatcha*
    Vive les voitures et vive l’essence, vive la liberté sans contrainte ! « 

Quelque chose intriguait Ala. Elle avait remarqué que Max éternuait plus fréquemment que la plupart des personnes qu’elle connaissait. Au début, elle s’était dit que c’était un simple rhume, mais ce rhume devenait long, très long… Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire et elle était prête à mener l’enquête, en tant que représentante à l’Assemblée du Vivant. Quelques jours plus tard, elle donna rendez-vous à Elodie, sous les arbres parasols de la place principale du quartier où se trouvait également un potager permaculturel :

   – Dis-moi Elodie, sais-tu pourquoi ton père éternue autant ?
    – Oh, les éternuements de Max ? Je m’y suis tellement habituée que je n’y pense même plus !
    – C’est-à-dire, habituée ? Depuis combien de temps ses éternuements sont devenus si fréquents ?
    – Ah, c’est une bonne question ! C’est vrai que lorsque j’étais gamine, je n’ai pas tellement de souvenirs de ses éternuements… ça a dû commencer il y a une vingtaine d’années.
    – Tu veux dire, depuis qu’on a réduit la place des voitures pour végétaliser les rues ?
    – Heeuuu… Oui, certainement… pourquoi ?!
    – Mais ça expliquerait tout ! Ton père est allergique au pollen, c’est pour ça qu’il se sent si mal depuis qu’on a enlevé les voitures, et donc, le bitume pour y mettre des plantes à la place.
    – Tu veux dire que c’est de là que viendrait son obsession de revenir à l’âge de la voiture ?
    – Oui, car il a associé cette époque de sa vie à une époque où il se sentait bien, où il n’était pas constamment  malade avec le nez qui coule et irrité à force de se moucher et éternuer.
    – Mais tu as raison, j’ai la solution !

Elodie se précipita sur une des plantes du potager : « la Renania bleue ». C’est un remède naturel contre le pollen. Ala s’empressa d’aller l’apporter à Max. Après plusieurs jours, Max se sentait déjà beaucoup mieux et il avait arrêté d’éternuer.

Aujourd’hui, Max et sa fille Elodie se sont réconciliés. Ils vécurent heureux et plantèrent beaucoup de Renania bleue.