La pierre de l’enfance

Récit imaginé par Margaux BonhommeMaia Douillet, Anne Gallienne etGuillaume Tempelaere facilité par Karine Le Flanchec dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 22 mars 2023 en partenariat avec le Onyo et le magazine Les Passeurs.

Thème de l’atelier :  Et si demain, nous devenions tous·tes des gardien·nes de la montagne ? 


Nous sommes au Cycle de Feu de l’Ère du Renouveau. Cela fait quelques cycles que j’ai l’impression que les éléments m’appellent. Nous avons appris à l’école que c’était une capacité qu’ont les enfants : parler le langage des non-humains. 

Je ne comprends pas tout à fait ce que me disent les éléments. On dirait que les arbres appellent à l’aide, les rochers ont peur, l’eau est en danger. Je crois que la Montagne a besoin d’être protégée, mais je ne sais pas comment l’aider.

J’ai essayé de demander conseil aux adultes autour de moi, mais ils n’entendent pas les appels à l’aide. Parler le langage des non-humains est un pouvoir qui s’estompe à mesure que les cycles passent, et les adultes n’en sont plus capables. Mais je ne peux pas laisser la Montagne en danger. Puisque les éléments peuvent me parler, ce sont eux qui me guideront. Je décide de partir ce soir, rejoindre la Montagne, pour qu’elle m’apprenne à la protéger. 

Je comprends rapidement que je ne maîtrise pas encore toutes les capacités d’un vrai Gardien

J’essaie donc, je tâtonne, j’expérimente avec les pouvoirs qui sont les miens. Le vent et l’eau sont mes éléments de prédilection. Je décide donc de les conjuguer.  D’un geste trop ample, un pan entier de montagne s’effondre devant moi. Dépité, je finis par m’allonger dans la prairie, une pierre dans la paume de la main. Je ferme les yeux et renonce à maîtriser ces éléments.

Au calme de la prairie succède un léger vent. Je le sens dans mes cheveux, sur mes pieds nus.

Les premières gouttes de pluie tombent sur mes yeux fermés. Je n’en avais jamais ressenti depuis mon arrivée sur Terre. On dirait qu’elle me parlent. Alors que j’essayais de maîtriser les éléments, ce sont eux qui viennent à moi. Brusquement, tout semble disparaître : pluie, vent, sol.

J’ouvre les yeux, et je comprends. 

Enfin.

Je suis ici, devant vous.

Tous, regardez-moi.

Je suis né, j’ai grandi, j’ai commis des erreurs, j’ai appris.

De mon premier essai, j’ai gardé la pierre.

Comprenez mes fautes, comprenez mes doutes, croyez en mon engagement.

Voyez mon intention : gardien de la montagne, j’en suis le protecteur. Voix des glaciers, habitants des forêts, errant sur les chemins et dans la roche nichée, à votre salut, je suis destiné.

Écoutez mes murmures, moi, qui me suis initié à vos langages.

Laissez-moi entendre vos chants.

Je me tiens devant vous, pur.

Sans artifice ni maquillage, les cheveux libres et la peau marquée des soleils couchants.

Mon corps a pris les marques de mes marches, des sommets gravis et des forêts parcourues. Il est poli par l’eau, étourdi de vent.

Entier je me suis donné à vous.

Je suis votre gardien

Et des hommes vous garderai