La nuit de la chaussure

Récit imaginé par Julie BASCHET, Ana JEAN et Marie SELLIER et facilité par Lauriane POULIQUEN-LARDY dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 mars 2022 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier : Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? Quel serait le quotidien de ses habitants, dans une France où frugalité et sobriété seraient au cœur des comportements (scénario 1) ?  


Je suis Maria. J’ai 70 ans. Je vis à Vaux-Sur-Seine, une petite ville de 5000 habitants. 

Notre village a réussi à devenir quasi autonome. Tout un panel d’artisans fait vivre la collectivité. Sa cohésion tient aux nombreux rendez-vous et fêtes auxquels les habitants participent. La force de cette ville tient à ses circuits de recyclage, à la valorisation de la créativité de chacun et à l’optimisation des ressources locales. Par exemple, les anciennes carrières de gypse ont été restaurées pour en faire des lieux de dépôts de matériaux à recycler mais aussi des ateliers de création

Comme la ville se trouve en bord de Seine, elle a profité de ce milieu humide pour préserver des zones de biodiversité mais aussi développer la culture de l’ortie, ce qui lui permet de produire des fibres végétales pour l’habillement. Et l’un des fleurons de notre village, c’est notre chausseur. Il a su créer un style de chaussures à partir de matériaux recyclés qui est réputé dans tout le département!

Un soir de décembre, j’étais à la Gare de Vaux, au centre de la ville. J’attendais les réfugiés climatiques provenant du Portugal. Etant native de ce pays, le village fut d’accord pour que je sois leur interlocutrice. J’attendais 10 familles. Il en est arrivé 30!

Ils avaient en plus une caractéristique toute singulière : ils étaient arrivés sans chaussures

Je me souviens les voir descendre du train et assister impuissante avec les autres membres du village à cette vision de familles pieds-nus en plein mois de décembre.

Comment trouver des ressources pour tous les nourrir, les loger, les équiper ? 

Et surtout comment les intégrer progressivement dans la vie frugale du village sur le long terme ?

Pendant un instant, je me sentais démunie. Puis mes racines portugaises se réveillèrent au contact de ces familles. Nous nous réunîmes avec l’équipe d’accueil dans la grotte principale et pendant les 3 premières heures qui suivirent l’arrivée de ces familles, je servis d’interprète pour les rassurer et leur présenter le village et notre organisation frugale. Je les sentis perplexes et compris l’écart culturel entre notre mode de vie et le monde d’où ils venaient.

Une autre équipe leur apportaient des couvertures et des boissons chaudes.

Pendant ce temps-là, mon petit-fils ingénieur cordonnier-chausseur et son équipe relevaient les pointures des 30 familles et commençaient à découper les composants hybrides des futures chaussures végan qui avaient fait la renommée de Vaux ces dernières années.

Les heures passèrent, la grotte et l’atelier brillant à la lumière de nos lampes à énergie solaire.

Finalement, dès le lendemain, la mobilisation du village fut telle que tous les arrivants avaient déjà une paire de chaussures à leurs pieds. 

Nous avons baptisé cette nuit : la nuit de la chaussure. Ce fut une nouvelle occasion de célébrer une date marquante pour le village

Le lendemain matin, je me sentis épuisée. Je n’avais pas beaucoup dormi cette nuit-là, mais l’excitation collective avait été si forte que je n’arrivais pas encore à me reposer. Nous nous souviendrons longtemps de cet accueil de 30 familles de réfugiés par une nuit d’hiver, dans notre village. Nous avons su grâce à notre réseau d’entraide trouver des solutions en urgence.

Par la suite , ces familles ont été tellement surprises et touchées par l’organisation locale du réseau d’entraide qu’elles ont voulu s’intégrer en proposant leur savoir-faire à la communauté. 

Dans les mois qui ont suivi, les potagers participatifs qui nourrissaient les 2/3 de la population ont été agrandis et une retoucherie s’est installée dans un local de la rue principale de avec des ateliers de couture réguliers.

J’aime me projeter une trentaine d’années en arrière, ce village était un « dortoir », comme on disait à l’époque. Les habitants travaillaient loin et il y avait peu de vie associative. 

Aujourd’hui, la majorité de la population a une activité sur place en lien avec le recyclage, l’artisanat, les services et l’agriculture. 

Nous avons créé un réseau d’entraide efficace et résilient.