01 Juin La frange de la fange
Récit imaginé par Elodie Dantard, Christine Sausse, Cyril Breton, Antonio Meza, Delphine Ekszterowicz et Guenola Rasa, dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 1er juin 2021.
Thème de l’atelier: Et si nous imaginions le futur de nos sociétés modernes comme profondément connecté au vivant ? Comment devenir un gardien du vivant au service du vivant ?
Noah aura 18 ans dans un an.
Elle a grandi au sein d’une de ces néo-communautés où, comme dans les lointains peuples premiers de la terre Mère, les enfants ne sont pas élevés par une seule paire de parents mais par tout un village. Dès le plus jeune âge, elle a pris des responsabilités pour faire pousser les plantes, récolter les graines, s’occuper des plus jeunes, des plus grands, des plus âgés, pour apprendre à apprendre, pour s’occuper du vivant.
Régulièrement, elle a eu des examens de passage, appelés rites durant lesquels il a fallu qu’elle montre l’étendue de ses talents et de ses compétences, épaulée pour cela des personnes de la communauté mais aussi de manière plus étroite par son Mentor, le gardien de l’âge nouveau, en charge de l’équilibre du vivant visible, et par la sorcière de la communauté, qui va chercher les énergies du vivant invisible à la Source.
Mais les choses sérieuses vont commencer pour Noah – le passage vers la Place afin qu’à ses 18 ans, forte d’une connaissance approfondie de son intention au monde et de ses talents, elle puisse la prendre : Sa place.
Ses mentors, le Gardien et la Sorcière, pressentent pour Noah le totem de la rivière. Pour le confirmer, elle doit passer une épreuve, son rite de passage. Elle est missionnée par ses mentors pour infiltrer la ville d’UrbaPark afin d’y régénérer la rivière qui coule en amont de sa communauté. Urbapark fait partie des quelques îlots de l’ancien monde qui ont résisté à la Reconnexion. Ces zones n’ont pas été transformées par la vague de reconnexion au vivant qui a touché le reste du monde, et les habitants vivent selon des coutumes anciennes peu respectueuses du vivant, selon leur propre définition de « modernité ». Cela fait maintenant plusieurs mois que la rivière est polluée, provoquant maux et maladies dans les jardins et les foyers.
Avant son départ, Noah troque sa production de graines rares contre quelques objets dont elle aura besoin pour son voyage initiatique. Puis elle se rend au pied de l’arbre des savoirs pour saluer Antonin, le jeune garçon en charge des cours de régénération du vivant ce mois-ci. Du haut de ses 8 ans, Antonin a su trouver le ton juste pour captiver son auditoire d’adultes et d’adolescents. Elle est un peu triste de quitter cette ruche si organisée dans son apparente anarchie. Elle ressent cependant de l’excitation et une certaine fébrilité a l’idée de découvrir le monde de « la Frange et de la fange » qu’est Urbapark. Son Mentor et la Sorcière l’ont-ils bien pressentie ? Son totem de l’eau la pointait du doigt pour cette mission comme une évidence. Trouver sa place est-il finalement si simple et immédiat ? Noah pressentait que non.
Sur les conseils de ses mentors, Noah va trouver le Fou, le seul capable de l’aider à infiltrer UrbaPark. Le Fou fait depuis des décennies la navette entre la communauté de Noah et l’ancien monde. Le Fou saura lui apprendre comment lire les codes et les signes de ce lieu qui lui fait peur. Ensemble, ils partent pour UrbaPark. A son arrivée, Noah est submergée par les bruits, les lumières, les fumées et les offres de consommation à outrance de toute sorte. Junkfood et fringues jetables lui offrent une image écœurante.
Le lendemain matin, le fou l’emmène jusqu’à la source. Noah remarque immédiatement que quelque chose cloche : pas un oiseau, pas un bruissement d’insecte à proximité du cours d’eau. Elle frissonne et sent la tristesse l’envahir, comme à chaque fois qu’elle se retrouve face à une nature meurtrie. En explorant les alentours de la source, elle remarque des bidons en métal abandonnés un peu plus haut. Ils proviennent de l’usine de la ville. Un matériau visqueux s’en échappe et s’infiltre lentement dans le sol. « C’est donc cela qui pollue la rivière depuis des mois ! » se dit-elle. Elle court vers les bidons. Elle commence à les manipuler pour essayer de les déplacer plus loin de la source, quand soudain, elle entend crier : « N’y touche pas, ces matériaux sont corrosifs ! »
Cinq jeunes sortent du bois pour empêcher Noah d’entrer en contact avec ces matériaux dangereux. Elle en reconnait plusieurs. Eux aussi poursuivent leur rite de passage. Les autres semblent natifs d’Urbapark. Noah comprend alors qu’elle n’est pas seule dans cette quête. Avec l’aide des autres jeunes, pendant des jours et des jours, ils vont pas à pas, enlever les bidons de métal, nettoyer les berges du matériau visqueux et construire un mur de pierres pour empêcher de futurs déchets d’atteindre la rivière.
Ça y est la source est réparée. Mais au fil du temps qu’elle passe auprès de la source, Noah prend conscience qu’il y a bien plus à faire dans cette zone qu’uniquement réparer la source. Elle a gardé en tête sa mission initiale, aggrader la source et revenir au sein de sa communauté, mais une question la taraude : sa juste place n’est-elle pas ici, pour une mission plus grande ? Entourée et épaulée par cette communauté de jeunes infiltrés, elle sent qu’ils ont le pouvoir d’éduquer, faire découvrir un nouveau rapport au monde et à la nature dans cette zone toujours déconnectée du vivant.
Elle revient voir le Fou pour lui faire part de son choix, en espérant que celui-ci transmettra le message à sa communauté : » je reste parce que je le choisis, il y a tant à faire ici, je peux contribuer avec les autres. »