La fausse note

Récit imaginé par Thomas Cadiou, Léa Garson, Justine Hugues, Lucie L. et facilité par Laetitia Vitaux dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 13 juin 2023 à The Island Montpellier.

Thème de l’atelier :  Et si en 2035, nous vivions dans une société résiliente face aux crises et unie dans l’action ?


Lundi 15 juillet 2035.

Tout a commencé le mercredi 13 juin 2035. 

Quelle journée ! 

A 7h, comme tous les mercredis en horaire d’été, j’avais rendez-vous à L’Oasis Saint-Roch pour jouer quelques morceaux au piano. Depuis quelques années déjà, l’ancienne gare a subi une métamorphose incroyable. Au rez-de-chaussée, il n’y a plus que deux voies : l’une dédiée aux trains régionaux, l’autre aux nationaux. 

Et à l’étage… Mamie, si tu étais encore là pour le voir, tu croirais vivre un rêve éveillé, toi qui as dédié ta vie à ton potager. Une immense serre avec des cultures vivrières ; de quoi alimenter quotidiennement plus de 200 foyers. Et même des arbres ! Bientôt on aura nos premières cerises de la saison. Mais revenons à notre histoire. 

J’ai salué l’équipe des agriculteurs et agricultrices du mercredi, me suis installée au piano. Il semblerait que ça aide à motiver tout le monde – plantations comprises. 

Et là, rien, plus aucun son…La pédale avait lâché. Comment faire ? 

Je ne sais pas réparer les pianos. Et je ne connais personne parmi mes proches qui ait cette compétence-là.

J’aurais pu arpenter les rues de la ville, mettre des mots dans chaque boîte aux lettres pour trouver la personne capable de résoudre ce problème, mais je connaissais un moyen beaucoup plus rapide pour effectuer cette recherche : faire appel à la Coopérative des Savoirs. J’y suis inscrite depuis mes 8 ans, pour apprendre des connaissances grâce aux personnes qui en font partie. Et moi aussi, du haut de mes 13 ans, je transmets ce que je sais faire. J’y donne, comme tout le monde, quatre heures de mon temps chaque semaine. Ca fait partie de la nouvelle organisation du travail depuis 2030. Quatre heures à la culture de la terre, quatre heures de ramassage du plastique ou autre activité de dépollution, quatre heures à l’activité où l’on sent qu’on peut apporter le plus de compétences, et quatre heures à la Coopérative des Savoirs. 

C’est donc là que j’ai trouvé l’information recherchée, grâce aux ouvrages qui y sont conservés et aux personnes ressources du jour. 

A présent que je connaissais le modèle de la pièce à changer, je me suis rendue à la ressourcerie, non loin de là. Mais, malgré les efforts de réutilisation de tout ce qui peut l’être et l’aide des personnes présentes, aucun objet n’y faisait l’affaire. Je me suis connectée sur un ordinateur à disposition et, grâce à l’inventaire numérique national – un de ces services d’utilité publique encore en ligne – j’ai su qu’une pédale compatible était disponible dans une ressourcerie de Toulouse.

Je suis donc retournée au bureau de l’Oasis Saint-Roch pour raconter au collectif que la pédale ne pouvait être changée qu’en allant à Toulouse. 

J’avais déjà épuisé cette année-là mon crédit-transport pour aller à Carcassonne dire au revoir à mon arrière arrière grand-père mort à 125 ans. Il fallait donc que quelqu’un accepte d’utiliser le sien pour aller à Toulouse récupérer la précieuse pédale. 

Le soir, tout le monde s’est réuni pour en discuter.

Nous étions une cinquantaine dans la gare, entre les artichauts et les pommes de terre. 

Le collectif décida de ne pas décompter de crédit-transport à la personne qui s’en chargerait, le piano étant d’utilité collective et considéré comme un outil indispensable de bien-être au travail.

Parmi ceux qui se sont proposés pour partir à Toulouse se trouvait Amir, dont la soeur venait d’accoucher chez elle, faute de place en maternité. Il y avait aussi Jezabel, qui cherchait depuis un an à partir se former à la congélification de l’eau à l’institut CIRDÔ à St-Ramones. La congélification était l’étape dont nous avions besoin pour produire assez de nourriture pour les habitants de Montpellier. 

Mais c’est Ingrid qui fut choisie par la majorité. Elle devait se faire opérer de l’auriculaire musqué, qui risquait d’être amputé. Quand elle fut remise, elle put récupérer la pédale à la ressourcerie de la rue Vaiten…

Le retour de la musique dans la gare-serre de l’Oasis Saint-Roch fut accueilli avec une grande allégresse.  Son absence nous a permis de mesurer à nouveau sa préciosité et de faire preuve de patience.

Tout prend plus de temps aujourd’hui. On en apprécie d’autant plus ce que l’on a.

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