La casa verde

Récit imaginé par Hélène Chesnel, Pierre Citon, Orane Busto et facilité par Lauriane Pouliquen-Lardy dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 14 octobre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie.

Thème de l’atelier:  Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginons le quotidien de citoyen.ne.s dans ce futur proche ? 


En ce 1er mai 2028, la fête du travail a une saveur bien particulière pour Carmen, celle de la Bolognaise de sa Nonna et de la citronnade qui étanchait sa soif quand elle était petite, après avoir récolté les raisins gorgés de soleil, mais aussi celle de la fierté. Aujourd’hui c’est l’inauguration de la Casa verde. Après deux années à casser, poncer, planter, elle a réussi,  ou plutôt ils ont réussi à redonner vie à cette vieille bâtisse figée dans un temps qu’elle n’a pas connu. 

Quelques années auparavant, après ses études et ses 8 ans en Espagne, Carmen était revenue à Beaurecueil sur un coup du sort, une ultime surprise sortie du chapeau de la tante Clara de Ligurie qui lui avait légué cette maison. Une maison où elle avait des souvenirs de vacances chez sa tante, quand elle avait 10 ans, l’âge qu’a aujourd’hui Paco, son fils aîné, et que son frère avait l’âge de Charlotte, 6 ans. Séparée d’Alban le père de se enfants cette maison lui tendait les bras. Beaurecueil était charmant. Charlotte et Paco s’y sentaient bien. Et elle aussi.

Elle avait son atelier de fabrication et de réparation à Beaurecueil et la boutique à Aix partagée avec une galerie d’art. Mais elle sentait que la routine d’aller-retour dont elle s’accomodait jusque là commençait à lui peser. Par ailleurs, la maison de Beaurecueil, que tante Clara avait un peu délaissée, lui semblait trop grande pour eux trois. Et Carmen se disait que ce serait un tiers-lieu parfait : une grange en bon état pour accueillir des ateliers et des espaces de rencontre,  un immense jardin pour se ressourcer et jardiner. Pourquoi pas un laboratoire de transformation pour cuisiner des recettes italiennes?

A l’annonce de la proposition de Carrefour Market de s’implanter dans son village son sang n’avait fait qu’un tour. Carmen souhaitait combattre la main mise de ses enseignes qui étouffaient les économies locales. Au contraire, elle voulait œuvrer pour soutenir les activités portées par les habitants du village. Et elle voulait aussi donner à ses enfants le goût de porter des projets, de la vie communautaire, du travail manuel, du rapport à la nature. Elle désirait qu’ils puissent accéder à une éducation tournée sur le monde, par exemple une 6eme européenne pour Paco, Début 2026, lorsqu’elle avait su que la municipalité avait mis en place un comité des projets pour que les habitants puissent partager leurs idées d’actions, cela avait renforcé son envie de créer son tiers-lieu.

Carmen se souvient de ce jour, deux ans auparavant, le 3 novembre 2026 pour être exact, où elle avait enfin pris son courage à deux mains pour présenter son projet aux habitants de Beaurecueil.  Elle n’était alors pas du tout assurée qu’il se concrétise et rencontre un tel succès. Au moment où elle devait prendre la parole, Guillaume, qui était en charge de l’animation du comité des projets ce soir-là s’était tourné vers elle : « Nous accueillons aujourd’hui Carmen Consoli qui va vous présenter son formidable projet de création d’un lieu artisanal et culturel ». Elle avait eu un moment d’hésitation : était-elle vraiment à la hauteur pour porter un projet qui semblait tout à coup la dépasser. Comment trouverait-t-elle les fonds pour faire les multiples travaux qu’elle prévoyait et qui serait assez fou pour l’accompagner et s’investir dans cette aventure ?… Elle se remémore alors avoir pensé à Greta, son amie espagnole et à sa volonté sans faille qui lui avait permis de créer son extraordinaire lieu communautaire foisonnant de créativité et de partage. Cette expérience l’avait inspirée. Carmen savait qu’elle n’avait pas le caractère impétueux de Greta, mais pressentait qu’elle serait capable de mener son projet à bien si elle se faisait confiance.

Quand elle avait vu la cinquantaine de paire d’yeux se tourner vers elle, elle senti une force montée en elle et une assurance qu’elle ne se connaissait pas. Comme on plonge sans retenue dans une étendue d’eau claire, elle s’était alors lancée dans la présentation de la maison dont elle rêvait, ouverte à tous, lieu de rencontre et de reconnexion à la nature.

Depuis qu’elle avait entrepris de concrétiser son projet, elle avait tissé des liens avec les commerçants et artisans, avec les associations locales. Elle avait d’abord vaincu sa peur, celle qui l’avait longtemps paralysée, enfermée dans son atelier et ses pensées, et puis elle avait vaincu les réticences moqueuses des quelques réfractaires du village ayant peur de voir affluer troubadours et autres marginaux.

En ce jour d’inauguration, Carmen prend une grande inspiration. Elle arrose le basilic qui déborde de sa fenêtre et entonne un vieil air révolutionnaire que lui avait appris sa grand-mère. Parce que ce matin, elle se sent un peu l’âme d’une révolutionnaire. Elle avance fièrement sur les dalles chaudes de la terrasse où dans quelques heures afflueront les futures habitant.es, voisins, voisines, jeunes enfants. 

Elle jette un coup d’œil complice à Paco et Charlotte et leur chuchote :  » Regardez, là-bas, c’est le verger. Avec ses abricotiers, ses cerisiers et la serre aux épices, il sera paré de milles couleurs dans quelques mois. Ici, c’est le bassin de récupération d’eau. On aperçoit plus haut les panneaux solaires. Vous savez, ils transforment l’énergie du soleil en électricité. Il reste tant à imaginer et il ne faut jamais se limiter à ce qui existe aujourd’hui. Lorsque des idées germent en vous, prenez-en bien soin, arrosez-les et nourrissez-les de votre imagination, partagez-les avec vos amis et votre famille et ne doutez pas qu’elles s’épanouiront en superbes fleurs demain. »