J’y croix

Récit imaginé par Maja Olow-Lafon, Oriane Gauffre, Laure Catherin et Chloé Friedlander et facilité par Mathilde Guyard et Vanessa Weck dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 26 novembre 2024 au titre du Mois de l’innovation publique, avec la Fabrique d’innovation pour les transitions.

Thème de l’atelier :  Et si demain, la pénurie en ressources naturelles nous conduisait à repenser nos manière de vivre et d’être en lien avec le vivant ? 


                ZAC (zone d’avenir des communs) de Cormontreuil, le vendredi 26 novembre 2052

Arrivé ce matin à la gare de Cormontreuil. Accueilli par la pluie et Jonathan, le « maire » de la ZAC. Il me reconnaît grâce à la valise des Volontaires.

La première chose qu’il me donne : un plan de la ZAC. Sanitaires, cuisines, compost, zone de tri, appartements, marché, zones cultivables et zones en régénération. C’est le seul endroit où il est interdit de se rendre, or c’est le seul endroit où j’ai envie d’aller. M’isoler et serrer un arbre dans mes bras.

Jonathan doit avoir l’habitude, parce qu’il m’entraîne directement dans mon appartement. J’y dépose mes affaires pour aussitôt repartir. « On est content que tu sois là. On a trop d’anciens cadres supérieurs à former ; je passe beaucoup de temps à expliquer et pas assez à faire.

Même si je le savais, ça m’a fait plaisir de savoir que je ne serai pas un boulet. Après qu’il m’ait expliqué rapidement le fonctionnement de la ZAC (les jours de marché, le réemploi de tout ce qu’on utilise, la participation aux tâches collectives), on est vite partis dans les champs : Tu passeras deux jours par semaine dans le champ de lin, un jour à former les volontaires, et deux jours pour les tâches communautaires. Tu as deux jours pour faire ce que tu veux : aller voir ta famille, au ciné, aux ateliers d’art et artisanat, ou juste regarder le vide, ça ne me regarde pas.

Il a continué : Même si le lin est la culture principale, on cultive plein d’autres choses ici. Les principes de la permaculture sont appliqués : on se nourrit de nos propres plantations, on stimule la biodiversité, et on retient mieux l’eau dans le sol. Les pionniers de la permaculture sur ces terres sont devenus des demi-dieux à qui beaucoup d’entre nous doivent leur survie. 

Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui se serait passé si on avait travaillé comme ça il y a 20 ans à Croix. Est-ce que le village aurait fermé ? Ou aurait-il pu devenir lui aussi un refuge du vivant ?

Ah Croix ! Je me souviens encore des regards perdus, de l’effroi, de l’odeur du bitume, du silence assourdissant, des visages incrédules, de la treizième canicule. Nous pensions tous être en sécurité dans cette vallée, cet écrin, niché au milieu des montagnes, coupé du temps et des soucis du monde. Mon cher village, là où je suis né, comme tu me manques ! Pourtant, nous le savions tous, nous nous étions pourtant préparés, depuis de nombreuses années, et puis, soudain, la nouvelle tomba. Elle nous coupa les jambes. Le Gouvernement avait décidé par arrêté préfectoral de fermer le village. Il n’y avait plus d’eau pour la culture, plus d’eau pour les bêtes, plus d’eau pour rafraîchir nos enfants ou nos vieillards. Le lac avait fondu, comme neige au soleil. C’était la canicule de trop, la treizième. Nous dûmes partir sur les routes, nous étions désormais, comme tant d’autres, des réfugiés climatiques. 

Le train à voile m’attendait sur le quai, encombré d’une foule abattue et triste, chacun encombré de ses quelques biens et alourdi des souvenirs de la vie qu’il abandonnait. Je ne dépareillais pas dans cette foule, le dos vouté et le moral dans les chaussettes. Jusqu’au dernier moment j’avais hésité sur mes bagages : que devais-je emporter avec moi dans cette nouvelle vie ?… J’avais choisi de tout laisser derrière mois, hormis les graines de lin que m’avait confié Papé et mon fidèle journal intime. Les habits et le reste indispensable me seraient de toutes façons fournis par le centre d’accueil des migrants de Paris.

Il n’y a rien à dire sur ce voyage, je l’ai passé à ruminer sur le chaos et le drame qui m’avait jeté sur le rail en direction de Paris. Je crois que tous les autres voyageurs de mon compartiment partageaient mon humeur et personne n’éprouvait le besoin de parler.

L’arrivée à Paris a vu débarquer sur le quai cette foule de migrants, heureux de se dégourdir enfin les jambes mais craintifs, tout comme moi, des étapes à venir. Le train nous a débarqué non loin du centre international de migrants et tout est ensuite allé très vite.

– Une jeune femme a agité une pancarte avec le nom de mon ancien village, je l’ai rejointe de mauvaise grâce, mais que pouvais-je faire d’autre ? Cela m’a surpris car elle était particulièrement souriante, et moi, le sourire, cela faisait des mois que je ne voyais personne avec. Elle nous a conduit, les personnes de mon groupe et moi, vers un guichet en nous disant : vous verrez, tout se passera bien et tout est organisé pour que vous restiez le minimum de temps dans le camp et que vous soyez affectés le plus rapidement possible vers votre nouveau lieu de vie.

– J’ai grommelé en me mettant dans la file devant le guichet d’accueil et j’ai attendu mon tour. Quand mon tour est arrivé, on m’a demandé de raconter brièvement mon histoire et de décrire mes compétences et mes envies. J’ai fait l’impasse sur ce dernier point et j’ai scrupuleusement détaillé mon parcours au guichet. 

– On m’a envoyé dans un bâtiment d’attente en me disant que dans 2 jours aurait lieu le tirage au sort d’affectation, nouvelle méthode testée pour répartir les migrants climatiques le plus équitablement possible sur le territoire. 

– Ça ou autre chose, peu m’importait de toutes façons. Je voulais juste en finir et connaître mon lieu d’atterrissage.

– Le jour du tirage au sort, on nous a tous réunis dans la salle commune à la fin de la journée. Tout est un peu confus car il régnait une grande agitation, comme si les gens avaient repris vie après toute cette attente. Le tour des gens de ma spécialité (la permaculture) est venu assez vite. Et je ne me souviens que de mon nom et de l’homme qui criait : Noni, ZAC de Cormontreuil, culture du lin !

Il est l’heure pour moi de me rendre à l’assemblée du soir pour que je puisse me présenter à tous et partager mes nouvelles impressions. Je vais pouvoir leur dire que cette journée a été pour moi riche en émotions et que j’ai l’impression de retrouver espoir. Je ne pensais pas me plaire autant dans ce nouvel endroit. Il faut dire que je n’étais pas particulièrement enthousiaste à l’idée d’être envoyé ici après tout ce qu’il s’est passé.  Mais je me rends compte que j’avais réellement besoin de retrouver ce lien avec les autres. Mais aussi, avec cette nature qui me manquait tant et que je n’avais finalement pas vraiment retrouvé depuis mon enfance à Croix. Rien qu’aujourd’hui, j’ai vu de mes propres yeux des arbres que les habitants avaient réussi à soigner et qui sont maintenant en très bonne santé. Je ne pensais pas en revoir un jour ! J’étais si ému que j’avais envie de le serrer dans mes bras. Toutes ces personnes autour de moi semblent avoir perdu ce qui ne reviendra jamais mais je vois en eux, comme moi, une envie de reconstruire quelque chose de nouveau et quelque chose que nous n’avions jusque-là jamais entendu ou vécu. Des nouvelles règles de vie et d’entraide, des nouvelles compétences, des nouvelles synergies, toutes ces choses me donnent envie d’aller de l’avant et de créé un nouveau chez moi.