27 Nov Et si l’école nous aidait à ne pas dépasser la septième limite ?
Récit imaginé par Julien Delord et Maria Popa-Roch et facilité par Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 27 novembre à Strasbourg dans le cadre de l’atelier organisé par l’INSPE.
Thème de l’atelier : « Et si en 2050 l’éducation avait radicalement changé ?”, récit ancré dans le scénario SSP5 du GIEC
Très belle journée de mai pour aller en classe. Je suis dans le laboratoire naturel que j’ai crée avec les enfants. C’est magnifique. Tout se présente très bien…enfin si ce n’est que la météo annoncée vers la fin de journée n’est pas réjouissante. Ce n’est vraiment très grave. J’ai très envie de retrouver mes élèves. J’ai beaucoup de chance. Le monde ne peut qu’aller bien. Je reçois une alerte météo. Un front qui s’est formé soudainement risque d’arriver dans trois heures sur la commune. Je préviens mes élèves. Je sors de ma classe pour m’informer auprès du secrétariat. Les mêmes informations ont été reçues de leur leur côté. La place du village n’est pas loin de l’école. Un groupe insolite apparait dans mon champ de vision du côté de la mairie. Aussi, un peu d’agitation les entoure. Les échos d’une langue inconnue me parviennent. Quelques curieux les entoure.
Le ciel s’assombrit encore plus. Des goutes tombent et s’accélèrent. En espace de deux minutes, ce n’est plus une pluie qui tombe mais en déluge. Les rues sont remplies d’eau. Je cours mettre à l’abri les élèves. En même temps des échos de panique s’élèvent dans la rue. Je retourne vers le portail. L’eau entre dans les cours et dans les maisons. Les magasins ferment. Les voitures sont emportées, le gens crient de partout. Les arbres tombent sur la chaussée. Le groupe de personnes que j’ai aperçu plus tôt panique. Ils ne savent pas où aller. Je ne sais pas quoi faire, qui prévenir, mes élèves, ma familles, mes collègues, les pompiers, le curé, apporter de l’aide aux personnes déboussolées dans la rue. La situation est critique. On m’informe que ces personnes sont des migrants arrivant d’Arabie Saoudite où les températures ne sont plus supportables pour la vie humaine. Ils sont certainement encore plus surpris que les autres. Nulle part pour s’abriter. Nous avons été protégés de tout cela jusqu’à présent. Nous avons pu vivre en se disant que la fin de la terre et loin d’ici ou peut être même improbable. Maintenant c’est ici, vraiment ici. Va-t-on être capables de faire réellement ce qu’on a toujours enseigné à nos enfants? L’école est solide. Il y a de la place pour tout le monde. J’ai confiance que malgré tout on va savoir s’en sortir de ce mauvais pas, tous. Que dois-je faire?
Les migrants, avec des balluchons sur la tête, des enfants sur les bras et de l’eau jusqu’aux hanches avancent péniblement dans l’eau boueuse du Rhin jusqu’à retrouver le sol ferme au niveau du collège qui avait été entouré d’une enceinte anti-inondation suite aux prévisions qui avait été faite 15 ans plus tôt par l’office alsacien d’adaptation aux changements climatiques. Ils avaient vu juste, mais ils n’avaient pas prévu que l’évaporation de l’eau du Rhin qui était à presque 25 °C allait générer en boucle ses propres nuages qui alimentaient les pluies, et cela pendant plus de 15 jours.
Mes élèves ont choisi de rester à l’école, cet espace de liberté bienveillant, plutôt que de rentrer chez eux dans leur univers technologiquement aseptisé, mais désormais largement vidé de son intérêt à cause des pannes récurrentes d’énergie. Nous avons pu utiliser des traducteurs automatiques connectés à l’IA par satellite néanmoins, et avons choisi de mettre en œuvre les préceptes de design des transitions en les adaptant : on a choisi que les femmes fassent la garde de l’école qui possède des pièces rafraichies autonomes (alimentées par panneaux solaires) où sont stockés de la nourriture, des médicaments et du matériel médical d’urgence et des générateurs autonomes. (chaque établissement scolaire doit permettre à ses élèves de survivre 3 jours en autonomie en cas d’attaque ennemie (depuis les attaques cyber-bactériologiques russes de 2032 qui avaient provoqué 200 000 morts). Les hommes se sont mis à préparer le repas. La nourriture était exclusivement végétale, la vraie viande étant très couteuse désormais à cause de la chute drastique du bétail dûe à la sécheresse. Mais un « viandificateur » permet de donner aux protéines végétales l’allure de la viande. Les hébergements sous moustiquaire (la dengue et le paludisme sont désormais endémiques en Alsace et hyper-résistants car ils ont contournés les traitements par virus artificiels Crispr-cas 9++) furent installés dans le gymnase et des hamacs entre les eucalyptus de l’école. Ces arbres sont aujourd’hui les mieux adaptés au climat de la région et captent bien le CO2. A 1000 euros la tonne de C02 capté, cela rapporte même de l’argent au collège, ce qui permet de financer le poste de « professeur en décarbonation ». Ensuite, les enfants des migrants furent initiés à la résilience adaptative par mes élèves à travers des cours personnalisés d’IA et appliqués dans la partie encore naturelle de l’école qui comprend un potager bio techno-monitoré productif jusqu’à 45 °C.
En quelques jours, ils purent apprendre à leur parents comment former une communauté collaborative
e qui peut affronter diverses catastrophes tout en préservant un minimum de bien-être; Les élèves prennent chaque nouvelle catastrophe (l’épidémie de 2047, la méga-sécheresse de 2049, etc.) comme un challenge « normal » à résoudre, et non comme une épreuve qui affecterait leur moral et leur futur. C’est d’ailleurs devenu une épreuve de fin de scolarité: sur une journée, chaque groupe autonome (on ne parle plus de classe) doit résoudre collectivement une épreuve de crise. La psychologie de la résilience a beaucoup progressé depuis 30 ans. On a beaucoup investi dans la mise à l’épreuve psycho-sociale des élèves car les savoirs scientifiques et techniques sont très facilement mobilisables sur le réseau méga-exter-net. Nous inventons ainsi des systèmes hybrides, parfois très low-tech, et parfois très high-tech et transhumanistes, optimisés par des ordinateurs quantiques en cloud. On est persuadé que toute l’énergie fossile gaspillée jusque-là va permettre à ces disruptions techno-psychologiques de nous sauver. Les élèves en sont persuadés. Le présent et le futur ne sont qu’une succession de crise, mais surmonter collectivement les crises, n’est-ce pas l’intérêt de vivre ?
Ce qui n’a pas changé depuis toujours probablement est que l’école, mon école est le lieu où tout le monde a une place. L’école est le seul endroit qui a pu sauver dans ses murs les vies mais aussi le lieu où tout le monde n’a eu d’autre choix que de partager. Le sort de tout le monde, alsaciens ou saoudiens, est le même face à la force de la nature.