21 Mar L’Elégance du chardonneret
Récit imaginé par Laurence PONSICH-MITJAVILE, Céline FAUGERE, Claire ALHENC-GELAS et Albéric BARRET et facilité par Delphine EKSZTEROWICZ dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 21 mars 2022 en partenariat avec l’ADEME
Thème de l’atelier : Et si en 2050, la France était neutre en carbone ? Quel serait le quotidien de ses habitants, dans une France du pari réparateur (scénario 4) ?
L’air était étouffant en ce mois de juillet 2040. Alors que ce gourou de la tech’ se rendait à un match de football américain au Michigan Stadium (le plus grand des États-Unis, du reste avant la tempête « Greta » de 2036), l’uber-copter qui décollait de l’un de ses plus récents « smart building » dans la ville, essuya un problème technique lors de la libération des crans d’atterrissage. Et s’il faisait chaud cet été-là, c’était sans compter les rafales de vent tout droit venues de la côte et qui frappaient depuis 4 jours déjà, les infrastructures végétalisées de la ville (jardins suspendus, façades en terre-paille et torchis, antennes de transmission de la 6G, etc.). C’est ainsi qu’au moment du décollage, l’uber-copter retenu par les crans alors que les palles tournaient déjà à plus de 2000 tours minute, qu’une brusque rafale de vent retourna l’engin comme le vent retourne un parapluie. Détruisant violemment les palles du taxi volant, ce dernier pris feu avant que des secouristes parvinrent à sortir le mania de la tech’ de son cercueil prématuré.
Quelques heures plus tard, l’information se répandit comme une trainée de poudre dans les médias du monde entier. Les débris d’hélices provoqués par l’accident avaient sectionné les lombaires de la victime. Plongée pendant 8 ans dans un coma dont le monde se désespérait qu’il en sorte. Notre homme de 76 ans se réveilla en juillet 2048, en France, près de 10 ans jour pour jour, après son accident.
Alors que ses capacités neuronales se délitaient au fil des années, les meilleurs ingénieurs du monde, prenant acte de son testament publié quelques années auparavant dans un Tweet sarcastique, étaient parvenus à lui implanter des transmetteurs neuronaux, technologie issue du biomimétisme, qui s’avérait intégrer un prototype très futuriste (le seul au monde), permettant aux humains de comprendre, littéralement, le vivant.
En mai 2050, se tenait à Paris l’assemblée générale du Future of life Institute, avec à l’ordre du jour la charte éthique de l’IA mondiale One. L’air conditionné pulsé de l’auditorium situé au 500ème étage de la tour Lithium fatiguait notre vieil homme. Pendant la pause, il se dirigea seul vers le jardin suspendu à plus de 1.5 km du sol.
Il se mit au calme et admira ce jardin luxuriant, peu fréquenté et entièrement reconstitué grâce à l’impression 3D. Une voix interrompit sa contemplation :
« C’est beau par ici
– ….
– On y respire mieux
– …hmmm
– Et cette vue
– Qu’est-ce qui vous amène ? demanda le vieil homme
– J’avais envie de me poser par ici, cela me rappelle les paysages d’il y a fort longtemps
– je ne sais pas…. Je ne m’en souviens plus, dit le vieil homme. Il y a eu ce coma. 10 ans tout de même.
– C’est bien dommage, du vert, des espace ombragés, tout était plus lent, les villes alternaient avec les campagnes, les saisons avaient un rythme… »
Il se sentit intrigué, et la conversation se poursuivit sur ce qu’il avait manqué lors de son coma : une technologie au service de l’humain, de son confort et de sa santé, un climat stabilisé grâce à la captation carbone. Captivé il se rendit compte des métamorphoses de ce monde qu’il avait quitté, des potentialités des avancées technologiques mais également des injustices créées. Notre héros se souvint alors de ses premières inventions inspirées du vivant, telle la Tesla inspirée du jaguar, ou encore son avion solaire inspiré du condor. Et que dire de l’Ambystoma, plus connue sous le nom d’Anthropophone, qui avait inspiré Neuralink et l’avait sauvé.
Lorsqu’il rentra dans la salle, les paroles de son compagnon d’un instant lui restaient en mémoire :
« Maintenant que tu as compris, tu as le pouvoir de modifier les choses. Même si tu es seul, devant 15 administrateurs à qui tu avais promis des miracles de technologie transhumaniste. Retournes-y, tu dois les convaincre. »
Dans la salle, les administrateurs patientaient, rouges de chaleur et verts d’agacement de l’avoir attendu si longtemps. Il se confondit en excuses, expliqua sa rencontre, leur dialogue sensoriel, ce qu’il avait compris de son rapport au vivant, de la solidarité nécessaire entre espèces, de la proximité aussi qu’il ressentait vis à vis de cet être avec qui il partageait un bout de cette Terre, de l’absolue nécessité de lui laisser sa place, à lui ainsi qu’à toutes les espèces, des plus grands jusqu’aux petits insectes, et de mettre à leur service les prouesses de technologie développées ces 20 dernières années, pour qu’elles servent un grand dessein. Les administrateurs le regardaient d’un œil incrédule, comme s’il avait bu un verre de trop, comme s’ils doutaient que ce fut la même personne qui était sortie de la salle quelques instants auparavant.
La réunion touchait à sa fin. Elon Musk sentait qu’il était la risée de tous les participants, qui pour autant n’osaient s’attaquer frontalement à lui. L’argent avait encore ce pouvoir. La mainmise de ses entreprises sur tous les secteurs de l’économie et notamment les technologies, atout principal du monde d’aujourd’hui, lui permettait encore d’avoir de l’influence. Dès le lendemain, il reconvoqua une réunion, non pas d’humains, mais des animaux, représentés par grandes espèces puisqu’il avait maintenant cette capacité à dialoguer ; constat fait à l’issue de sa conversation avec l’oiseau dans le jardin suspendu. Il leur soumis l’idée d’une gouvernance partagée où chacune des espèces serait représentée et participerait à la validation des technologies qui seraient mises sur le marché.
Chaque espèce aurait une voix pour construire ensemble le monde de demain et imaginer les technologies qui permettront de maintenir une biodiversité.
Epilogue : c’est ainsi qu’en 2055 fût validée la diminution de la pollution lumineuse et sonore, grâce à la domotique embarquée sur les oiseaux migrateurs : « le Smart Charbon », du nom de l’espèce du compagnon d’un instant d’Elon, un Chardonneret Élégant, qui avait changé sa vie lors de cette discussion décisive dans le jardin suspendu à Paris, lors de l’assemblée générale du Future of life Institute, 5 ans plus tôt.
Aujourd’hui, à l’approche d’une ville, les oiseaux ne subissent plus la pollution lumineuse et sonore.
Ce sont eux qui imposent leur rythme de vie.