De fil en aiguille…quand les liens s’entendent

Récit imaginé par Thomas Chatelard, Delphine Weiskopf, Anthony Bonafé, Sarah Koller et facilité par Vanessa Weibel dans dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 16 mars 2021. 

Thème de l’atelier: Le lien dans l’adversité: 

Nous sommes en 2030. Notre quotidien est à présent entièrement impacté par le processus globalisé et évolutif d’effondrement de notre civilisation. Chaque jour, face à la déliquescence de la situation, nous sommes de plus en plus inventifs pour renforcer notre autonomie, nous organiser en communautés, développer des compétences insoupçonnées. Dans ce contexte, quels récits pouvons-nous imaginer pour créer, entretenir ou réparer des liens ?


C’est bientôt la Fête des Semis à la Résidence des Coquelicots de Poulouse.


Comme chaque année depuis 5 ans et le krach qui a emporté une grande partie de l’économie, la Fête des Semis rassemble les habitants des Coquelicots autour d’un troc de semis. Au début cela a commencé comme une excuse pour faire du lien, se retrouver, en prétextant que c’était dommage de parfois jeter des semis si l’on en avait trop. Après 5 ans, non seulement les liens sont devenus importants, mais les semis sont devenus surtout cruciaux pour nourrir l’immeuble et faire du troc avec les autres. 

Qui aurait pensé à l’époque que nous en serions là, se dit Ludivine… Ah si, Mathieu… Mathieu en parlait.

C’est d’ailleurs lui qui a lancé cette idée de troc de semis, comme un rituel annuel. Il en a aussi lancé d’autres qui sont devenus tout aussi importants, et ce, malgré les premiers ricanements du début ! Ludivine se rappelle encore ses voisins du dessus, qui ont ouvertement critiqué le projet collectif de four à pain dans un des garages ! Pourtant aujourd’hui, M. Robert y fait cuire un des meilleurs pain de l’immeuble ! Il a bien changé ! Qui aurait dit de ce responsable marketing qu’il adorerait tant pétrir la pâte ?! Sa femme, elle, ne s’est pas trop remise des changements et reste un peu prostrée. La bienveillance générale des habitants lui adoucit la vie et elle participe de temps en temps. 

Pour Ludivine aussi ce fut un choc cette crise économique ! Elle a perdu comme de nombreuses personnes son emploi et le nouveau revenu de transition vers l’emploi qui a remplacé le chômage au début du deuxième mandat de Macron a juste permis de s’acheter à manger ! Finies aussi les allocations pour son handicap. Le gouvernement a coupé tellement d’aides que les citoyens n’ont pas hésité quand le « mouvement des mauvaises herbes » a appelé à l’arrêt des remboursements des crédits et du paiement des loyers. Quelle crise ! se rappelle Ludivine. 

Aujourd’hui, elle est bien loin de ces événements et apprécie les liens qu’ils ont permis de nouer. Même si ce ne fut pas facile tout de suite… Et puis il y a eu les gens comme Mathieu qui ont proposé de s’organiser. C’est dans ce mouvement d’organisation que Ludivine s’est épanouie ! Elle qui s’était toujours sentie à l’écart à cause de son handicap s’est vue grandir dans la résilience grâce à ses compétences en couture. Elle se sent tellement utile maintenant !! 

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Ludivine regarde par la fenêtre et se dit qu’il fera chaud pour la Fête des Semis ! Comme d’habitude. Sûrement plus que l’année dernière… Pour l’occasion, Ludivine travaille à coudre une bâche à partir de morceaux de plastique pour la serre sur le toit de l’immeuble. Elle est fière, c’est la première fois qu’elle est choisie pour fabriquer la bâche rituelle, et tout le monde compte sur elle ! Habile couturière depuis son plus jeune âge, elle adore son antique Singer à pédale héritée de sa chère mamie et qui lui permet habituellement de réparer les vêtements du voisinage. D’habitude elle est tranquille pour coudre, mais ce jour-là son compagnon est rentré plus tôt, ivre. Il n’est que 10h pourtant. Depuis qu’il s’est fait virer de sa banque, elle l’observe, impuissante, dans une spirale de destruction. Le voilà qui râle encore après les bouts de bâches qui jonchent le salon. Elle voit juste sa bouche bouger, heureusement elle n’entend pas le son qui en sort. Soudain, elle le voit trébucher, vaciller… elle tente de le rattraper mais il tombe et emporte la machine dans sa chute. Comme dans un mauvais songe, elle voit alors, impuissante et comme au ralenti, sa fidèle alliée tomber et se briser. Tout d’un coup, c’est la fin de ses illusions, jamais elle n’arrivera à la réparer et à finir le travail avant la fête…

Cette fois, c’en est trop, elle doit le quitter. Elle rassemble quelques affaires, juste le nécessaire, et s’enfuit, le laissant là, à terre. 
Choquée par la scène qui vient de se produire, elle s’arrête dans l’escalier. Elle repense à l’échéance et à tous ces gens qui comptent sur elle. Les larmes montent, elle ne peut plus les retenir. 

Ludivine est en train de pleurer dans l’escalier quand Richard, son voisin de pallier, la découvre là. En quelques gestes il comprend la situation. Ludivine voit alors le regard bienveillant de Richard, et dans un échange de LSF il lui dit de lui faire confiance, de ne pas d’inquiéter pour la bâche ni pour son avenir. D’humain à humaine, elle sent son regard bienveillant la calmer, tout doucement.

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La Fête des Semis bat son plein. Ludivine est installée sous le grand pommier devant l’immeuble et les enfants courent autour d’elle. Dans son ventre elle sent les vibrations de la batterie qui rythment les chansons du groupe de musique qui anime la fête. Elle apprécie ces vibrations et repense aux 3 derniers jours : aux 9 personnes dans son petit salon, toutes concentrées sur la couture de cette fameuse bâche ! Ludivine a alors ressenti dans son corps entier l’amour et le soutien qu’apportent une telle communauté. Quelle harmonie ! Bien sûr, ça n’avait pas été facile de finir à temps sans la machine, mais Richard avait vite pris les choses en main et recruté des personnes motivées dans le voisinage. Après un petit cours d’initiation à la couture manuelle, tout le monde s’était attelé à la tâche, dans la joie et la bonne humeur ! Des personnes de tous profils, tous âges, et toutes origines motivées par une même tâche collaborative pour la société, ça, c’était bien quelque chose de rare il y a quelques années ! Surtout quand nous ne prenions pas le temps de nous retrouver ou de prendre le temps de ces activités qui créent du lien, loin de nos écrans… Vous qui nous lisez… SORTEZ !