Conte d’un porschiste en dé-route

Récit imaginé par Sylvie Vidal, Elisabeth Hincker-Jaeglé, Lucas Blondel-Amour et facilité par Cédric Liardet dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 16 décembre 2021 en partenariat avec Génération Ecologie.

Thème de l’atelier : Nous sommes le 3 novembre 2026. Depuis bientôt 5 ans, la France mène une politique décroissante planifiée, volontaire et salutaire. Et si nous imaginions le quotidien de citoyen·ne·s dans ce futur proche ? 

Photo by elizabeth lies on Unsplash


Il était une fois l’histoire de Kevin. Kevin habitait au 3, rue de la Rosée, dans le joli village de Munster. Sa vie de labeur était bien réglée : tous les matins, café serré avalé, costume gris en flanelle bien ajusté, attaché-case au poignet, il ouvrait la portière de sa Porsche Carrera pour filer au travail, à la Banque de l’Avenir. 20 ans de bons et loyaux services lui avaient permis de gravir les échelons, il en était à présent le directeur. Tout était minuté dans sa journée, pas de place pour l’imprévu, il fallait être efficace et productif. 20 minutes pile porte à porte, de la porte de son pavillon à la porte vitrée de son bureau. Mais ce matin, tout allait vraiment de travers. Une énorme tempête de neige s’était abattue sur le village dans la nuit. Sournoise, la glace avait gelé sa serrure et il avait déjà perdu 10 minutes à gratter son pare-brise. La neige bloquait le passage… Il était très en retard pour sa réunion avec les investisseurs chinois. Il accéléra un grand coup pour essayer de franchir la côte, fit ronfler son moteur et ….zip zop….. la voiture dérapa, dérapa….rezip… rezop…. Impossible de passer ! Il sortit de sa voiture, il la contempla, elle lui semblait bien inutile à présent. Il retourna à pied en direction de sa maison. Quelle galère !
Il était désemparé par la situation, et cherchait une solution à sa portée, simple et rapide. C’est à ce moment que comme chaque matin, passa le « bus créatif de Munster », mis en place par l’intercommunalité.
Ce bus, dont le but premier était d’emmener la population à l’école, au collège, au lycée ou encore au travail, avait la particularité d’être aménagé de façon à pouvoir accueillir un groupe de musique, exprimer ses émotions, son humeur sur un tableau à craie prévu à cet effet. Ainsi, tous les jours, en partant et en revenant de leur domicile, les habitantes et les habitants de Munster pouvaient discuter, s’écouter, partager des viennoiseries, créer ensemble, écouter un groupe de musiciens et musiciennes amateurs qui réservait un concert privé et invitait les passagères et les passagers à participer. 
Comme chaque matin, le bus créatif passa devant chez Kévin, seule maison où il n’avait pas pour coutume de s’arrêter. Or ce matin, un monsieur, très classement habillé, attaché-case en cuir noir à la main, était planté devant cette maison, avec un air plutôt désespéré. Forte d’empathie et de générosité, la conductrice du bus s’arrêta, demandant au malheureux ce qu’il se passait. Lui expliquant sa situation, la conductrice proposa à Kevin de monter dans le bus, et de l’emmener jusqu’à son travail.
Il découvrit dans ce bus des habitudes qu’il ne soupçonnait pas, une mentalité qui n’était pas la sienne, jusqu’au moment où, captivé et surpris par ce à quoi il assistait, un enfant s’approcha de lui et lui demanda sans filtre, mais innocemment « pourquoi t’es habillé en monsieur sérieux ? ». Sur un fond de musique jouée par le groupe, qui lui rappelait son enfance, il prit conscience à ce moment qu’il était complètement déconnecté de la société décroissante qui était installée depuis maintenant 4 années, société dans laquelle la course à la croissance économique avait laissé sa place au bonheur, à la convivialité, et au bien-être de chacune et chacun. 
Cette expérience sociale changea le cours de la journée de travail de Kevin, qui choisit de rentrer par le bus qui l’avait amené au travail le matin, pour partager à nouveau ce moment de joie de vivre avec ses voisines et voisins. Une fois rentré chez lui, il se posa, compris son décalage avec la société contemporaine et qu’il était un dinosaure de la croissance qui collectionnait des objets superflus. Il décida de changer son mode de vie. Fini le PIB, finie la Porsche individuelle, à son tour de vivre avec comme unique objectif le bonheur partagé !

C’est ainsi que Kevin décida d’ouvrir sa maison et son garage sous forme d’un musée de la croissance. Dingue comme idée. Et joyeusement les habitantes et habitants vinrent l’aider à organiser ce musée, les plus jeunes découvraient des machines, les plus anciens rigolaient en se racontant des souvenirs d’un monde pas si lointain. Le musée eut beaucoup de succès et Kevin habite maintenant dans un éco quartier pas trop loin de son musée où il allait tous les jours…. à pied !!! 🙂