Ce monde que je pensais vrai

ou Issam au pays des robots

ou Le jour où j’ai découvert un nouveau monde

Récit imaginé par Karine TERRAL, Thomas PENTECOUTEAU, Sylvie HENNEBICQ, et facilité par Christiane LELLIG dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 2 mars 2023 en partenariat avec l’ADEME

Thème de l’atelier :  Et si la France était neutre en carbone en 2050, dans le scénario 4 pari réparateur ?


Je vais vous raconter une histoire, que vous n’êtes pas prêts à croire. Je suis Issam, un enfant comme tant d’autres, âgé de 10 ans. Mes parents si je peux les nommer ainsi, ne sont que des formateurs payés pour s’occuper de moi et d’autres enfants qui me ressemblent. Pourquoi, qui me ressemblent ? Car je fais partie de la caste des « mal aimés », et dans cette caste, mon avenir est déjà tout tracé : je n’ai le droit qu’à une semaine de vacances pour aller jouer avec mes copains au foot. Le reste du temps, je suis obligé de suivre des cours donnés par des instructeurs-robots. Je vous le dis, il n’ y a rien de marrant, car tout est planifié à l’avance…

J’attends donc cette semaine de vacances depuis 11 mois déjà. Je n’ai pas cette chance d’être comme Bertrand et vivre dans une maison aussi grande que celle d’un musée. Non, moi je ne vis que dans un cube, d’un peu moins de 20 m2 pour moi et mes « soi-disant parents ». Ils n’ont pas beaucoup d’argent, et je ne devrais pas le dire, mais j’ai compris que je n’étais qu’un placement de produits peu rentable vu mon indésirable caste…  La mer, j’y suis tout près, car je vis tout près de la Bretagne, à Noirmoutier, mais je ne vous le dis rien qu’à vous : je ne connais même pas la couleur de l’eau…

« Mes faux parents », comme j’aime les appeler, ont à leurs charges, la gestion de plusieurs enfants comme moi. Tous les jours, c’est la même chose : je tends mon bras, je scanne mon poignet, et on me délivre la quantité de nourriture à ingérer tels que des vers de farine remplis de graisses saturées et les programmes scolaires à étudier… Autant vous dire, que le grain de folie n’existe pas ici, peut-être que le grain est dans ma tête après tout.

Aujourd’hui est donc un grand jour pour moi, car je vais enfin partir en vacances. Je pars donc seul, ou plutôt accompagné de mes « amis robots » vers le centre de vacances dans lequel je vais pouvoir enfin jouer au foot. Comme à chaque fois, je prends les transports en commun. En temps normal on y voit une succession de voitures auto-guidées les unes derrière les autres, des tramways en enfilade comme des chenilles rampants dans un endroit hostile. Tout y est normalement minuté à la seconde….car rien n’est dû au hasard.

Mais, aujourd’hui, c’est bien différent. Le silence règne sur la ville…. Et les mouvements semblent être au ralenti : aucune voiture auto-guidée, aucun tramway en fonctionnement… Mais que se passe-t-il ? C’est si étrange car ce jour, les transports sont à l’arrêt !!! Une première pour moi de voir cela, car d’habitude, la ville fuse à 200 à l’heure. 

Moi qui me faisais une joie de partir en vacances, cela ne peut pas se passer aujourd’hui ! En regardant autour de moi, j’ai compris que je ne suis pas le seul surpris. Il y a une file de personnes qui attend les yeux rivés sur leur OAM (mon assistant personnel). Nous sommes tous dans le même cas. C’est alors que je demande a mon OAM en combien de temps nous arriverons a destination… pas de réponse… Je répète alors ma requête pensant que je n’avais pas parlé assez fort… toujours rien. Je regarde alors le petit écran de l’OAM et je vois un message que je n’avais jamais vu : « Le système a la flemme ». Aujourd’hui, tous les robots sont en grève ! Oui en grève ! Comment est-ce possible, alors que les robots sont censés être à notre service ?

C’est une blague ? Ou même pire, un bug informatique ? Mais rien à faire, l’OAM est définitivement bloqué sur cet étrange message. 

Je décide alors de voir maman pour lui montrer et surprise : elle est rivée sur son OAM, au bord de la crise de nerfs et répète « OAM redémarre ! OAM redémarre ! » Il ne nous a pas fallu longtemps pour comprendre ! Le phénomène a lieu partout, et ne se limite pas qu’aux OAM : toutes les machines sont affectées. C’est même pire que cela, elles ne répondent plus. Elles ont… »la flemme ».

Plus de machines, plus de robots, plus d’OAM, plus d’internet, nous sommes amputés d’une partie de nous-même. Les semaines passent les unes après les autres, et sont très dures, car les gens deviennent hagards, perdus et beaucoup se rendent vite compte qu’ils ne sont pas du tout autonomes et ne savent pas faire grand choses de leurs dix doigts. Le couperet tombe et la révélation est dure à accepter : nous confions nos vies, nos savoir-faire, nos savoir-être aux machines et désormais privées d’elles nous avons tout à réapprendre : s’alimenter, se vêtir, se parler, s’orienter (la légende dit que certains n’ont jamais retrouvé leur chez-soi).

C’est curieux tout de même cette situation ! Moi qui au départ était complètement perdu et en colère de rater mes vacances, je me suis rendu compte de quelquechose d’incroyable ! Durant des jours d’affilés, plus d’écran, plus d’automatisme ! Mais grâce à cette petite interruption automatique, je découvre les bienfaits de la rêverie et du temps présent. C’est ainsi que je me suis passionné pour les travaux manuels et que j’apprends à découvrir mes voisins, dont je n’avais croisé que les regards.

C’est quand même fou cette histoire ! Car maintenant, grâce à cela, chacun expérimente et se découvre son propre talent. C’est vrai, que je n’ai pas pu partir en vacances cette année-là, mais à la place, c’est encore mieux, car avec mes amis du quartier, nous avons construit un bateau, un vrai, et tout cela rien qu’avec notre imagination et nos petits doigts. Mes voisins sont désormais mes nouveaux amis, c’est avec eux que j’apprécie passer mon temps à apprendre la vie, celle dans laquelle j’aime être qui je suis !