26 Jan Barbak
Récit imaginé par Florian Le Bris, Juliette Michel, Emma Kerloeguen et facilité par Lauriane Pouliquen-Lardy dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 25 janvier 2024en partenariat avec l’Ademe.
Photo de LikeMeat
Thème de l’atelier : Et si la France était neutre en carbone en 2050 dans le scénario 2 ?
Ploudalmézeau – 07h12 / La cabane
Bon, il est 7h, je suis épuisé, ça fait 2 jours que j’ai pas mangé de protéine, je suis en manque.
Léa, ma voisine à voulu m’apporter de la protéine de soja, c’était immonde.
Je vais retrouver Gwendal, sur la dune de Tréompan, je vais aller chercher ma ration de boeuf pour le mois d’août. Va falloir être prudent parce qu’on s’était fait chopper la semaine dernière avec 13 kilos de veau, ça avait pas plu à la communauté.
J’y vais.
9h33
Ça y est, j’ai récupéré la barbak.
J’ai croisé Tony, il allait faire un tour à Plourin en vélo, il m’a proposé de venir mais il fait beaucoup trop chaud.
Je suis tellement fatigué. Je me suis encore pris une réflexion sur ma consommation de viande par Nolan, il est jeune lui, il comprend pas à quel point c’est compliqué de changer toutes ses habitudes du jour au lendemain. Je vais avoir 73 balais putain, je me sens tellement pas à ma place !
Pourtant ils essayent hein, ils m’invitent à tous leurs trucs de bobos, j’aimerais bien m’y intéresser mais la vérité c’est que j’ arrive pas. Pourtant je comprends, je comprends que c’est important mais c’est tellement loin de moi, de ma vie, de tout ce que j’ai traversé. Et puis, je vais bientôt canner de toute façon je suis vieux donc…
Mais bon j’ai croisé le petit Léo et ça m’a donné de l’espoir, c’est lui l’avenir, c’est sa génération, au fond, c’est lui qu’a raison.
15h07
Léa m’a invité à un gou’troc’ cet après-midi, je sais pas pourquoi elle continue de m’inviter mais bon, aujourd’hui j’ai décidé d’accepter. Je vais essayer de m’inclure, de parler, on verra.
Je file.
15h41
Bon, j’ai vraiment pas tenu longtemps, ils essayent mais ils comprennent pas, ils me comprennent pas. Nolan veut m’inviter à des temps d’échange sur les nouveaux modes d’alimentation mais il capte pas que c’est pas moi ça, on me changera pas.
Je vais faire une sieste, il fait 37 degrés, mon colocataire n’ est pas là cet après-midi , je vais prendre sa chambre il fait plus frais.
*Réception d’un mail de Chuck, son frère*
« Salut bro,
J’espère que tout se passe bien en France et que le temps est bon. Haha ça fait longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Chez nous, à Atlanta le temps est devenu vraiment lourd. On respire de moins en moins bien. La sécheresse se fait ressentir. Je me sens de moins en moins bien mais bon j’essaye de relativiser je suis encore l’un des seuls dans la ville à avoir gardé mon travail et mon corps de ferme avec mes plantations.
Ca m’a fait bizarre mais notre pote d’enfance Brian est subitement tombé malade avec la pollution environnante. Les hôpitaux sont bondés et l’eau est devenue presque aussi chère que l’or. On a du mal à s’approvisionner.
Je rêve d’un monde comme avant sans trop de souci, sans ce problème de nourriture.
Je suis en train d’économiser le plus possible pour te rejoindre en France. On a vu dans les journaux que l’air était plus pur où tu habites. Maman me manque et tu me manques. Marre d’habiter dans une ferme aussi grande et de gérer tout pour tout le monde.
Dis moi quand tu es disponible et joignable, histoire qu’on s’appelle comme au bon vieux temps.
À très vite,
Ton frère, Chuck. <3
XOXO »
18h30
Il est 18h30, je suis dévasté, je me sens vide, j’ai du mal à m’adapter à cette nouvelle vie, à ce nouveau mode de vie. Les gens sont gentils, ils veulent être là pour moi mais je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. Je les repousse coûte que coûte, je ne sais même pas pourquoi. Je ne mérite peut-être pas leur gentillesse et leur bienveillance. Je ne mérite rien de tout ça, seulement de m’éteindre comme s’est éteint ma mère il y a 30 ans. J’ai reçu un mail de Chuck, qui me faisait part de sa vie à Atlanta, ça à l’air si difficile là-bas au pays. J’ai laissé mon frère, ma seule famille seul et je suis là à me plaindre de mon malheur alors que moi j’ai tout. Enfin presque. Il me raconte que le temps et l’atmosphère sont rudes et qu’il est de plus en plus difficile de vivre confortablement et de respirer, j’ai peur qu’il meurt.
Chuck dit qu’il viendra peut-être me rejoindre en France s’ il en a les moyens, j’ai peur qu’il me voit dans cet état, ça le rendrait tellement triste.
J’écris et je comprends que j’ai peur de plein de choses, de tout. De la venue de mon frère, du danger dans lequel il vit, de saisir les mains que mes amis et voisins me tendent, de ce mode de vie dans lequel je ne me retrouve pas, de la vie, de la mort, mais peut-être plus de la vie finalement.
J’ai plus envie de rien, j’ai plus envie d’essayer, plus rien ne me retient si ce n’est mon frère, mais il est à des kilomètres d’ici. Je pense que ce seront mes derniers mots dans ce journal.
Merci de m’avoir accompagné durant toutes ses années.
22h
Putain.
J’y allais, je sautais, c’était fini et c’était ok. Je sautais putain et elle m’a rattrapé ! Elle m’a rattrapé juste avec ses mots. Je sais pas comment elle à fait, elle à dû passer chez nous et elle a trouvé le mail de Chuck. Alors elle m’a parlé de lui, elle m’a parlé de ma vie là- bas, elle en savait rien en réalité. Elle m’a dit qu’elle comprenait mieux mon attitude, qu’elle voulait m’aider, me soutenir. Que d’ici l’arrivée de mon frère j’essayerais d’aller mieux.
Alors je prends le pari, je vais essayer, une dernière fois, espérant que cette fois-ci ça sera la bonne.
Il fait plus frais ce soir, le climat est plus doux et la mer est d’huile, c’est pas si mal finalement.
Et puis j’ai re-goûté le soja, bon. ‘est pas terrible mais c’est pas dégueu, je vais peut-être voir pour faire un jour sur deux.
15/10/2050 – 8h
Je viens de me réveiller du bon pied avec Léa qui dort à mes côtés. Je me sens mieux. J’ai appris à vivre avec ce nouveau mode de consommation. Je suis moins aigri et je me balade de plus en plus en vélo. Qui l’aurait cru mais ça y est mon frère a pu me rejoindre il y a deux mois de ça déjà. Je suis tellement heureux. Depuis son arrivé et celle de Léa dans ma vie j’ai réussi à m’ouvrir de plus en plus aux autres. J’ai construit des cabanes que je fais louer à des amis de la commune. Je leur ai laissé des vélos pour se balader et faire leurs courses. J’ai réduit ma consommation de viande et je m’en sort avec les produits locaux. L’air est bon vivre. Je me sens heureux et le temps passe si vite. j’en ai même oublié l’existence de ce carnet.