AVCclette

Récit imaginé par Agnès de la Transicion, Julien Fortel et Gaëtan Perriniaux, et facilité par Mathilde Guyard dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 28 spetembre à Pontivy lors d’un atelier co-organisé avec kreiz breizh transitions.

Thème de l’atelier :  Et si en 2040 le centre Bretagne avait réussi ses transitions ? 


Jour 1

Camille a encore eu du mal à se lever ce matin pour aller travailler. Ah, ces jeunes !

Au village, c’est loin d’être la seule, ils nous demandent à quoi ça sert de continuer à aller bosser chez Sanders alors que l’élevage intensif a quasiment disparu. Mais franchement, nous on n’y croit pas à ces petites exploitations, c’est une mode, ça leur passera et les gens réaliseront que ce modèle était le plus performant. C’est sûr qu’ils ne sont plus qu’une poignée à faire fonctionner l’usine mais c’est important qu’elle ne s’arrête pas sinon le jour où le monde se réveillera, plus personne ne saura la remettre en route.

Et elle y va à vélo à l’usine Camille, alors franchement si ça c’est pas écolo ! Nous à Croixanvec, on sait que ce monde est devenu fou : plus de tracteur, plus de voiture, les gens qui ne veulent plus travailler alors que le travail c’est la santé, c’est bien connu.

Heureusement que notre communauté est soudée parce que des hurluberlus, on en croise tous les jours avec leur drôle de véhicule qui n’avance pas, leurs idées bizarres et leurs habits rafistolés. L’autre jour je suis allée voir ma cousine à Kergrist et leur mode de vie est vraiment bizarre. On dirait qu’ils passent leur vie tous ensemble à cultiver dans leur jardin partagé. Alors quand j’ai croisé Bertrand le maire je ne me suis pas gênée pour lui dire que nous, à Croixanvec, on avait bien réussi à garder un mode de vie qui a du sens.

Jour 5

Maman, je sais que tu tiens à ton journal intime alors je t’écris ici les journées que nous passons.

Ce matin, tu ne répondais plus. Je voyais bien l’angoisse dans ton regard et ton appel au secours, j’avais tellement peur ! Un millier de pensées se sont aussitôt entrechoquées dans mon esprit : qui vais-je appeler ? Ici à Croixanvec il n’y a pas de médecin. Le service d’urgence de l’hôpital est fermé le week-end depuis des années et le samu est saturé… J’ai bien essayé les numéros d’urgence mais leur standard est saturé.

Après m’être concentrée, je me suis rappelé qu’une collègue m’avait parlé de ce guérisseur à Saint Gérand. J’avais bien rigolé sur le moment mais d’un coup je l’ai remerciée du fond du cœur de m’avoir mise sur cette piste.

Ni une ni deux, j’ai pris le vhélio que j’avais été cherché hier. Tu te rappelles ? Tu ne voulais pas que les voisins le voient, il fallait le ranger dans le garage. Tu m’as fait tout un foin comme quoi ce qu’allaient penser les voisins était vachement plus important que d’aller chercher à manger… Bref, heureusement qu’il était là hein, maman ?

J’ai fait tout mon possible pour t’installer confortablement et sans douleur sur le siège passager mais tu étais tellement inerte, tellement paumée ! T’as passé ton temps à me dire que j’avais l’air paumée mais là, tu vois, c’est moi qui me suis vraiment inquiétée.

Après 2 heures de pédalage, nous sommes enfin arrivées. Je ne sais pas si tu arrives à t’en souvenir, je ne sais pas ce que tu te rappelles alors j’écris tout.

Ce bon monsieur Yvon était là, heureusement. J’étais dubitative, bien-sûr, sur sa capacité à te remettre sur pieds à le voir apposer ses mains simplement sur toi en proférant des sons graves et parfois des gestes brusques avec ses mains. Il m’a expliqué qu’il enlevait ainsi le mal de ton corps.

Bon.

Au final, il m’a envoyé voir un de ses collègues à Gueltas pour qu’il te donne des soins complémentaires, qui agiraient à un autre niveau.

Que voulais-tu que je fasse ? J’étais désespérée… Nous sommes donc reparties pour quelques heures de pédalage car, vois-tu, je prenais grand soin de ne pas te faire subir de cahots ni de virages serrés.

Mais en partant, je ne sais pas si tu te le rappelle, j’ai roulé sur une vis qui a crevé le pneu. Punaise, j’étais furax. En plus, tu m’as tellement sermonnée hier que je n’ai pas eu le temps de regarder la notice technique de notre engin ! Impossible de changer la roue toute seule avec toi sur l’engin. Je me suis sentie chanceuse quand mon portable a réussi à trouver un point vhélio près de nous. Ça, c’est au moins une bonne chose qui est arrivée ces dernières années, c’est le réseau des mobilités !

Bref, la nuit tombait et nous avons dû faire halte. Nous avons quand-même eu le temps de réparer notre roue et ce soir tu es installée dans la chambre d’amis de Mr Kervec qui m’a aidé sur le vhélio. Je t’avoue que son discours de solidarité m’a un peu scotchée, puisque nous sommes des étrangers finalement. Mais ça me donne à réfléchir. Est-il nécessaire de se fermer aux étrangers qui passent par chez nous ? Est-ce un devoir que de se limiter aux seuls siens ?

Bonne nuit maman, je continuerai ce journal tous les jours jusqu’à ce que tu ailles mieux. Je t’aime.

Jour 8

Je peux de nouveaux écrire, merci Camille d’avoir décrit ce que j’ai vécu dans mon brouillard. Je retrouve l’usage de mon corps, de mon esprit comme les nuages dévoilent un ciel étoilé. Et quelle surprise ce changement d’environnement !

J’étais passée jadis dans ce village de Gueltas, garni de ses grands champs, la culture de patate et de céréales dessinaient le paysage. Aujourd’hui un guérisseur me remet sur pied, un réparateur de vélo nous remet en route.

Nous roulons avec Camille découvrir leur agriculture et les ateliers de transformation. Camille a hâte de découvrir la culture de champignons.

Jour 20

Quelles discussions riches nous avons tout en travaillant la terre ! Non seulement j’apprends tout pour cultiver le topinambour et je discute philosophie art et musique. Ces personnes ne travaillent que quatre heures par jour et nous régalent l’après-midi d’ateliers pour cultiver la joie, ça nous change de Croixanvec et sa valeur travail

Jour 30

Les douleurs reviennent. Nous partons pour un long périple vers Carhaix. Il y a là-bas une guérisseuse qui a développé d’autres méthodes qui me soulageront.

Camille a envie d’apprendre davantage sur ce véhicule qui nous transporte : le Vhéliotech. Elle veut rejoindre là-bas le collectif qui développe les pièces trop techniques pour les ateliers diffus. Je suis heureuse qu’elle se passionne tant. Chaque rencontre, chaque moment est une aventure que Camille cueille comme une ode à la vie.