13 Mai Aux racines du vivant
Récit imaginé par Bernard, Célia, Léa, Victor et facilité par Morgane Personnic dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 13 mai 2024.
Thème de l’atelier : « Et si en 2050, nous avions créé de nouvelles alliances avec le vivant ? »
Aussi lointain que puisse remonter les souvenirs des habitants de la Touraine, aucune espèce vivante ne peut se souvenir de cette époque révolue et oubliée de la naissance du doyen de la forêt, un Grand peuplier adoré. Ils se souviennent des maladies, des luttes, de la bêtise humaine notamment et de ce qu’elle a entrainé.
Le long de Loire, toutes les espèces vivantes ont été perturbées par ces changements si radicaux. D’autres encore sont venues de bien plus loin pour se regrouper ici, certains oiseaux ont traversé les océans, d’autres espèces ont traversé les montagnes. Un village d’humain venu de toutes horizons, suite aux catastrophes que leur espèce a provoqué, s’est regroupé et a formé un collectif vivant au gré des saisons en harmonie avec tous les habitants de la régions et de la Loire. L’hiver est froid et sec, les pluies se font rares. Les habitants du collectif attentifs à la rivière observent que le niveau ne remonte pas depuis l’été précédent. Au printemps, ces mêmes habitants commencent à s’affoler « la rivière n’a jamais été si basse, nous n’allons jamais avoir assez d’eau pour vivre comme d’habitude, il va falloir faire des choix pour ne pas mourir assoiffé ».
De nombreux moments de réflexions très intenses s’ensuivent : que faut-il faire pour passer l’été avec cet épisode de sécheresse sévère qui arrive? Après quelques semaines, un des habitants du collectif propose une solution : « nous pourrions couper un/des peuplier/s et installer une pompe à la place pour aller chercher de l’eau souterraine, plus en profondeur que ce que la rivière peut nous donner. Un peuplier peut consommer jusqu’à 500L d’eau par jour, ce n’est plus raisonnable d’avoir ces arbres très consommateurs sur notre terre vivante car en étant inadapté à notre climat ils prennent de l’eau qui pourrait servir au reste du Vivant ».
Mais une fois cette solution énoncée, les échanges fusent, une habitante, pionnière du village crie : « Et donc pour que nous soyons un peu plus à l’abri du potentiel manque d’eau tu proposes d’assassiner tous nos voisins peupliers ? Je pensais que tu avais plus de considération pour le Vivant ».
Un autre résident rétorque : « arrête Anaïse, tu ne vas pas me dire qu’un arbre compte autant que ton petit fils s’il mourrait assoiffé ».
Une petite fille commence à pleurer : « mais Jimmy est mon ami, il a le même âge que moi et il est toujours là quand les autres ne veulent pas jouer avec moi, il ne joue pas mais il m’écoute et est d’accord pour que je lui fasse des câlins, vous m’avez toujours dit de respecter les arbres comme mes frères. »
Il est nécessaire qu’une décision soit prise, tout le village entra dans un moment de choix : fallait-il abattre ces arbres trop consommateurs d’eau? Leur place est-elle encore parmi eux ? Eux qui cherchaient depuis des décennies à habiter avec le vivant et à faire avec.
Cette situation n’est pas une affaire banale pour le collectif et chacun sait, dans le plus profond de son cœur, que ce moment est déterminant. L’assemblée va être réunit pour discuter de cette situation. Les participants sont tirés au sort, sans distinction, parmi tout les humains de la communauté. Parmi eux, certains ont la tâche de consulter les renards, chouettes, poissons, mousse et autres espèces désirant se prononcer sur la gestion de la sècheresse.
Le petit groupe totem élu chacun prend sa route pour aller s’enquérir des doléances et propositions des animaux et végétaux. L’un d’entre eux, à l’esprit un peu espiègle livre à l’écureuil qu’un humain avait proposé d’ôter la vie de l’ancien peuplier. L’écureuil fût effaré par cette proposition et dit au garçon que cet arbre est l’un des arbres premier de cette forêt, vieux de 300 ans et en connait tous ces secrets : il sait déceler la présence du loup et alerte les animaux de la forêt, il courbe ses branches pour faire de l’ombre à la jeune mousse. Une question vient tout à coup à l’esprit du garçon : vaut-il mieux couper cet arbre qui assure la prospérité à tant d’espèce alors que lui, sa famille et ses amis sont un impact beaucoup moins important pour cet écosystème ?
Bouleversé par cette prise de conscience, le garçon est retourné au plus vite auprès de l’assemblée pour transmettre les dires de l’écureuil. Les discussions ont duré jusqu’au petit matin, moment où tous sont tombés d’accord.
La grive, l’alouette et la fauvette chacune sur une branche de l’arbre vénérable chantent ce soir comme d’ailleurs depuis des millénaires, totalement indifférents à la décision du petit groupe qui repart maintenant vers le village.
Comment savoir au fond ce qui est juste ou non dans ce monde où le doute à tout envahi. Mais chaque habitant sait tout au moins qu’il a été écouté tout comme il a écouté tout les autres, avec attention et respect. La patience, l’empathie et l’intérêt général ont fait le reste. Une parole commune, une parole publique, partagée, a émergée, fragile peut-être mais validée par chacun.e et tou.te.s. Elle a scellé un pacte par lequel est renouvelé l’alliance entre les humains et entre les humains et tout le vivant.
Au final, chacun rentre chez soi serein et en paix. Il ne serait pas étonnant que ce soir la fête s’invite au village.