13 Mar Arbor’histoire
Récit imaginé par Elen Dubos, Nicolas Morisset, Pamela Paloscia, Sarah Rharbaoui et Bernard Rochereau, et facilité par Hélène Chesnel dans le cadre de l’atelier organisé par Imagine LA et futurs proches le 13 mars 2023.
Thème de l’atelier : Et si, en 2050, l’environnement de notre travail nous le rendait agréable à vivre ?
Tous les jours, j’étais là et personne ne me voyait. Tous les jours, ils et elles passaient devant moi pour aller à l’Atelier dans la Forêt. Comme Byzance, cette jeune ébéniste aux cheveux couleurs de l’automne qui filait sur son vélo. Du matin au soir, elle s’échinait à transformer mes camarades en objets, plus farfelus les uns que les autres. Par la grande porte, je voyais qu’elle s’agitait entre les quatre murs de l’atelier, passant d’une machine à l’autre, en mutilant mes congénères. Par moments, mes feuilles se recouvraient de la sciure qu’elle générait, m’empêchant de capter les rayons du soleil.
Tout a changé il y a peu de temps, grâce au fils de Byzance. Cela faisait des années que je tentais de me connecter à lui et j’ai enfin trouvé le bon moment, il y a un mois. Cette rencontre sans mots, dans un langage secret, a eu lieu. Peu après, le jour de ses 18 ans, il a révélé à sa mère qu’il nous entendait, arbres frémissants : « Maman, les arbres sont en danger ! ». Sa mère a eu un mouvement interrogateur sur le visage. « Il existe un danger, je le sens dans ma chair et mon sang. J’ai grandi dans cette forêt. Nous sommes reliés par un cordon cosmique. Tu dois me croire. » Byzance connaissait bien son fils, un être tranquille, enfant sauvage, aux sens plus affûtés que le commun des urbains. Elle l’a tout de suite crû. Maintenant, elle s’est demandé de quel danger il pouvait s’agir ? Il est vrai que la forêt semblait plus clairsemée qu’à la naissance de son fils, moins respirante. Peut-être faudrait-il réinterroger leurs pratiques de gestion durable de la forêt.
Dynamique et engagée dans l’intérêt général d’autres projets, sa force vitale a pris le relais. La confiance et l’amour qu’elle porte à son fils a fait d’elle un allié. Fragilisée et bousculée, Byzance a décidé d’en parler à ses collègues. Ils lui ont fait bon accueil bien que cela remettait en cause leur croyance et leur travail. Soucieux de prendre soin de Byzance et de sa vie familiale, de prévenir des soucis de santé face à ce choc, ses collègues lui ont proposé d’adapter ses horaires et de mettre en place des temps de pause « bains de forêt ». C’est ainsi qu’elle a eu du temps pour elle, ce qui lui a permis un éveil de conscience. Lors d’un atelier convivial, elle a partagé ses connaissances et son ouverture d’esprit.
Et, un matin, Byzance est passée avec une plante accrochée sur son porte-bagage. Une, deux, trois plantes par jour. Cela fait un mois qu’elle apporte des ficus, des machins et des trucs pour décorer l’atelier. Elle veut absolument que la forêt prenne place dans l’atelier. Chaque jour, on dépoussière, on oxygène et on végétalise. Comment aurait-on pu imaginer une telle transformation ? On laisse même les plantes sortir de leur pot et prendre racine.
Aujourd’hui, chaque matinée commence par un long moment de gratitude avec son arbre-totem. Chaque travailleur et travailleuse a choisi dans la forêt son arbre, celui dont il prendra un soin particulier, comme s’il faisait partie de l’équipe. Des ateliers de bien-être inter-générationnels sont planifiés chaque mois, réunissant collègues et famille proche. Bains de forêt et sensibilisation aux écosystèmes alentours sont désormais la norme. Des banquets d’entreprise autour des comestibles sauvages sont organisés hebdomadairement.
Et puis, toutes les réunions ont lieu désormais autour de moi. Régulièrement, je les vois tous débarquer et se mettre en cercle autour de mon tronc. C’était bizarre au début, mais j’y trouve maintenant une grande satisfaction. Byzance aussi apparemment. Je la vois souriante, détendue et plus épanouie qu’avant. Je suis devenu l’arbre à palabres. Je ne sais plus trop où ils situent la limite entre l’entreprise et l’extérieur. D’ailleurs, ils ont renommé leur entreprise « La Forêt dans l’Atelier ».