Apprendre à voir le travail autrement

Récit imaginé par Anthony Frion, Elsa Moudio Priso, et Gabriel Derian, et facilité par Yohann Reverdy dans le cadre l’atelier futurs proches réalisé le 20 mai 2021.

Thème de l’atelier: a poly-activité intermittente. Et si la norme de l’organisation du travail était le temps partiel multi-activités ? 


Il regarde l’horloge : 22 heures. George prend une gorgée de café, envoie son mail et soupire d’épuisement. Demain, il devra cesser de travailler pour son entreprise de produits ménagers et commencer ses 2 jours de travail « non économique » pour la planète. Comme d’habitude, il n’en fera rien et continuera à se consacrer chez lui aux affaires de sa société. George n’a jamais vraiment compris pourquoi l’Europe avait basculé dans ce qu’il voyait comme une hystérie collective il y a 5 ans, forçant chacun à consacrer trois jours par semaine au travail économique (pour lui, le travail tout court) et les 2 autres à des soi-disant travaux collectifs pour la planète. George préférait largement l’ancien fonctionnement de la société et en réalité, ne l’avait jamais vraiment abandonné.

Le lendemain à huit heures, on frappe à la porte. George ouvre, sans surprise, à son ami, qui lui assène « Tu viens au potager aujourd’hui ? »
– Allons, tu sais bien que ça ne m’intéresse pas…
– Faire quelques rénovations peut-être ?
– Je n’ai pas le temps. J’ai encore plein de choses à faire.
– C’est dommage. Tu ne sais pas ce que tu manques. Tu sais, ce n’est pas bon de rester dans ton coin comme ça. Tu devrais faire un effort : le monde est comme il est, et je le trouve bien mieux comme ça qu’à l’époque. Enfin, je ne peux pas t’y obliger.

Le jour même, alors que George forçait l’un de ses salariés à prendre ses appels pendant ses « jours pour la planète », il se fait prendre en flagrant délit de « sécher ses jours pour la planète », en travaillant sur son entreprise. Les autorités locales, qui cherchent à faire respecter la loi établie par l’union Européenne il y a 5 ans, vont le contraindre à faire un camp de « travaux pour la planète  » – après avoir suspendu son entreprise – afin de compenser les jours qu’il n’a pas fait. Car après tout, pourquoi en serait-il dispensé ? Il s’agit d’une loi pour l’intérêt général et il est nécessaire que chacun donne un peu du sien pour que tout le monde puisse vivre ensemble, dans un monde juste, solidaire, écologique et durable. Ce camp a pour objectif de le plonger dans le quotidien de ceux qui, justement, œuvrent pour la nature et le bien-être commun. 

Les premiers jours sont très difficiles pour George. « Mais quelle torture ! grogne-t-il souvent. Pourquoi doivent-ils m’infliger pareille punition ? Cela n’a aucun sens ! Je peux largement payer une amende ! Les travaux que je suis en train de faire n’ont aucun intérêt économique. » Cependant, alors qu’il donnait des coups de pied contre des détritus sales échoués sur une plage de Pornic, une enfant s’arrête devant lui, le regarde, s’accroupit et ramasse ce qu’il a refusé de ramasser lui-même. « Pourquoi fais-tu ça ? lui demanda l’enfant, du nom de Flora. Tu n’aimes pas notre planète ? Il s’agit de notre grande maison collective. Ma maman dit qu’on est extrêmement chanceux de pouvoir partager tous ensemble une maison. Notre rôle à nous, c’est de tout faire pour qu’elle soit la plus belle, la plus confortable et la plus apaisante possible. Ce déchet-là, ça la pollue, ça la salit et ça lui fait du mal. Donc ça nous fait du mal à nous aussi. »

L’écho des paroles de cette enfant d’à peine 7 ans le bouleversera pendant longtemps. Intrigué par sa vivacité d’esprit et sa résolution, George se rapproche d’elle et se met à l’aider. Jour après jour, il s’attache à elle et à ses paroles enfantines et naïves, mais tellement pleines de sagesse et de vérité. Sa prise de conscience est progressive et véritable. Car oui, cette enfant avait raison, il devait protéger sa maison. 

Quand il eut terminé ses travaux écologiques, au lieu de reprendre son entreprise telle quelle était, George décide de créer une association qui permet d’aider les personnes qui vivent la même frustration qu’il eut pendant ces 5 premières années. Après 1 ans d’existence de l’association, plus de 1000 personnes ont ainsi été soulagées et se sont investies dans une démarche citoyenne et écologique. 

Parallèlement à cela, la situation dans son entreprise a beaucoup changé. Désormais, plus question de recourir aux options les plus polluantes pour concevoir ses produits, ni de réaliser de publicité mensongère. La façon dont George gère ses employés a également changé du tout au tout : les opinions de chacun sont toujours respectées, ainsi que leur volonté de prendre des pauses pour la planète et pour eux-mêmes. Au final, cela ne fait même pas baiser la productivité : les employés comme les clients sont très heureux de la façon dont a évolué la société et cela se ressent largement.

On frappe à sa porte, c’est son ami qui revient. « Tu es prêt à y aller ? »
– Bien sûr. Le ciel est beau aujourd’hui, ça fait plaisir. Il regarde l’horloge : 8 heures, il prend une gorgée de thé, saisit son manteau, et sort rencontrer des gens, le sourire aux lèvres.