Accrochez-vous !

Récit imaginé par Caroline Ingrand Hoffet, Charline Schmerber, Elona, Razvan Gorcea et facilité par Marie-Luce Storme. dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 2 décembre 2021.

Thème de l’atelier : « Le lien dans l’adversité, quels récits imaginer pour créer, entretenir ou réparer des liens dans un contexte d’effondrement? ». Atelier mené en collaboration avec Charline Schmerber, praticienne en psychothérapie éco-anxiété.


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Accrochez-vous !
La mer est montée et il nous faut de nouvelles amarres
Les passerelles du port maintenant des lits pour nous cultiver
Accrochez-vous !
Cette masse qui arrive, ce n’est pas la mer mais un bourdon qui cache le soleil
Des milliers d’âmes s’y sont accrochées, à ces navires, comme leurs terres s’inondaient

shhhhwooosshhhhh

Quand le bateau est arrivé avec toutes ces personnes à bord mes vieux réflexes de l’ancien monde ont refait surface. Pouvions-nous vraiment accueillir ces apatrides ? Y aurait-il suffisamment de place sur nos terres, suffisamment de vivres ? Les accueillir n’était-ce pas nous mettre en danger, nous priver, nous, les locaux, Brestois, de ce que nous avions réussi à re-créer sur ce territoire ? Le nouveau cadre légal qui régit notre territoire m’est alors revenu en mémoire : il n’est plus question de propriété individuelle ici. Dans notre communauté tout appartient à tout le monde, chacun se met au service du collectif en fonction de ses capacités, de ses envies, de ses aspirations. Sans l’aide du collectif qu’aurais-je fait de mes terres, de ma forêt ? Si les bâtiments se restaurent, si les fruits et légumes poussent dans mon ancien potager, c’est grâce aux savoirs-faire de chacun.e.  Mais il y avait encore à apprendre, et ce sont les passagers d’un des premiers bateaux qui en ont donné la teinte : ne devait-on pas inclure les algues du port maintenant inondé dans nos nouvelles cultures, dans notre nouvelle culture collective ? Certains sont donc devenus nouveaux Brestois, mais tous ne peuvent pas rester. //

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Nous sommes arrivés dans la rade de Brest après un très long voyage transatlantique. Nous étions plus de 8000 personnes à bord de notre bateau de croisière reconvertiEn somme, les survivants de l’île des Matchucas, envahie par la montée des eaux. A notre départ, il y a eu des séparations sociales, de religions, puis des bagarres entre nous…mais finalement nous avons réussi à vivre ensemble…Nous sommes arrivés à Brest environ 7500 personnes de tous âges.Nous ne savions pas ce qu’on allait retrouver dans ce port de l’Ouest de l’Europe, après les effondrements qu’ils ont dû subir également. Finalement, nous avons été surpris par l’accueil d’une communauté avec des règles nouvelles. Ils ont cherché parmi nous des personnes qui peuvent contribuer à la restructuration de leur nouvelle société. Nous avons compris que nous ne pouvions pas tous y rester et nous avons accepté de laisser quelques personnes qu’ils voulaient, mais aussi nos plus faibles, malades et âgées…Quelques marins brestois ont pris la mer avec nous, ainsi que quelques algues de la rade de Brest.Nous devons repartir…et passer ce message de solidarité à travers le monde.

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Les eaux sont montées encore et encore… L’eau a gagné sur la terre engloutie partout autour de nous. Et cet effondrement fut notre chance, à nous les sans terre.Tous ceux qui possédaient ces terres comme on disait autrefois, n’ont plus pu se repérer. Plus personne ne pouvait dire « Cette terre est à moi ! » …il n’y avait plus que les algues et les vagues qui se sentaient chez elles partout…. Alors nous avons pu, nous qui avons grandi sans terre apporter notre savoir-faire et notre savoir vivre en communion avec une nature qui nous enrichit sans nous appartenir jamais… Alors bien sûr quand les bateaux sont arrivés… remplis de gens sans terre… sans plus rien à eux, je me suis senti très proche d’eux. Nous avons réussi à partager cette expérience de vie commune. Ce que les anciens n’auraient jamais cru possible a pu être vécu ici. La question n’a pas été entre nous de savoir qui était chez lui ou pas, la question a été avons-nous les ressources communes pour le bien de la terre, de la mer, des algues, et de chacun d’entre nous. Et c’est comme cela que nous en sommes arrivés à la conclusion que certains devaient repartir forts de cette expérience et de cette conviction que la vie est possible seulement si nous prenons soin les uns des autres.

shhhhwooosshhhhh

Accrochez-vous !
C’est ce que dit notre collectif de soin, on y arrivera si on le fait ensemble
Les Brestois appréhendent, mais comment apprendre ?

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