11 Juil Jeanne, troqueuse de graines
Récit imaginé par Julie, Véronique, Nicolas et Magali, facilité par Charles-Antoine « Tony » et Morgane dans le cadre de l’atelier futurs proches réalisé le 3 juillet 2025 en partenariat avec fertîles.
Thème de l’atelier : Et si en 2035, chaque adulte devait réaliser un “service coopératif” dans un projet de territoire ?
28 mars 2035
Cher Mathis,
Tu es le premier à recevoir une lettre de ma part… Je viens de quitter Amboise pour m’installer à Nantes et tu ne peux pas imaginer comme j’étais impatiente de débuter mon service coopératif. J’ai tellement attendu et je ne supportais plus ma vie de commerciale. Trop de pression, trop de réunions pour rien, trop de comptes à rendre… Ici tout reprend du sens, j’apprends de nouvelles choses tous les jours, je rencontre des personnes formidables qui œuvrent pour le bien commun, pour nourrir la population locale avec des produits sains. J’aimerai tellement que tu puisses me rejoindre ici mais tu es encore un peu trop jeune, ton moment viendra.
Demain je vais découvrir une nouvelle exploitation pour faire du troc de graines et je pense y aller en vélo, ce n’est pas si loin. Ils m’ont parlé d’une variété très particulière de courges, avec de très bons rendements. Elles supportent d’ailleurs très bien les hausses de températures de ces dernières années. Oui je sais, je garde encore quelques travers de ma formation 😀
Mon ancienne vie me cantonnait à un secteur très restreint et j’ai gagné une très grande liberté dans cette nouvelle vie avec la possibilité d’aller sur tous les territoires, de rencontrer toujours plus de personnes engagées et je ne changerai cela pour rien au monde.
Je t’embrasse,
Jeanne
Vendredi 6 Juillet 2035
Cher Mathis,
C’est l’horreur, le Covid 35 nous est tombé dessus sans prévenir, et tous les trains vers Bordeaux ont été suspendus, me voilà bloqué à Nantes pour un temps indéterminé. Tu sais combien je ne tiens pas en place ! Moi qui avait pris mon billet pour après-demain, je suis totalement bloquée. Voilà 3 jours que le confinement a été décrété, plus le droit d’aller se promener en ville, de sortir voir les amis et de se retrouver en terrasse. J’ai déjà commencé à me prendre la tête avec Stéphane, le gérant de l’exploitation. Ça promet !
Je t’embrasse, prends soin de Papa et Maman.
Jeanne
Mardi 17 Juillet 2035
Cher Mathis,
Merci pour ta lettre ! Je suis contente de savoir que vous vous portez bien.
De mon côté, hier la Maire de Nantes est venue en personne sur l’exploitation. Alors nous on a pas le droit d’aller se promener mais les officielles et leur suite eux visiblement ils ont tous les passe droits. La Maire et son équipe sont venus réquisitionner nos denrées. Apparemment en ville c’est le chaos. Les stocks des supermarchés n’auront pas fait long feu et la Maire veut qu’on mette qu’on les approvisionnent au détriment des autres.
Stéphane a voulu refuser, indiquant que les villages des alentours dépendaient entièrement de la ferme. Il a fait valoir qu’il y a un an, les supermarchés auraient refusé ses produits, de même que la ville car il n’avait pas je ne sais trop quel label. Bizarrement label ultra cher ou pas, là ça n’avait plus d’importance. La Maire a fait valoir que la ville était prioritaire, comme si les bobos de la ville valait mieux que ceux de la campagne. Stéphane a argué que de toute façon on allait manquer de bras, qu’on ne pouvait pas produire plus. La Maire a fini par repartir en pétard. J’espère que ça n’aura pas trop de conséquences à l’avenir. J’espère que tu vas bien de ton côté ainsi que les parents.
Je t’embrasse.
Jeanne
Lundi 23 Juillet 2035
Mathis tu devineras jamais ce qui vient d’ arriver. Alors qu’on travaillait d’arrache-pied ce matin, on a vu un bus débarquer. Il était rempli de gens de la ville qui sont tous venus nous aider avec les cultures. Plus ou moins obligés par la Maire d’après ce que j’ai compris. C’était rocambolesque, tu aurais vu Stéphane qui essayait de coordonner tout ce monde. Entre les pimbêches qui sont venues en talons aiguilles se croyant au super marché et les gars de l’usine qui se sont tapés des coups de soleil de malade car restés torses nus, le combo était détonnant. Je pense fort à toi.
Je t’embrasse fort.
Jeanne
Mardi 31 Juillet 2035
Cher Mathis, au bout d’une semaine, au final, les volontaires ont fini par s’acclimater et aujourd’hui on travaille tous en bonne intelligence, c’est incroyable l’entente qui peut y avoir. Sophie et Justine ont troqué leurs talons aiguilles contre les bottes de jardinage et le sécateur. Eric a fini par comprendre qu’il fallait porter une chemise sous le soleil même s’il fait chaud, on l’a équipé d’un chapeau de paille, tu aurais vu sa tête au démarrage on aurait dit un épouvantail ! Avant hier Olivier m’a amené des graines du jardin de sa grand mère en ville j’étais trop contente de pouvoir les ajouter à ma collection !
Aujourd’hui on a tous mis de côté nos a priori et on participe tous à travailler pour le bien commun. Des rumeurs disent que le confinement devrait s’assouplir prochainement, j’ai hâte de pouvoir retourner boire un verre en terrasse ! Olivier m’a aussi invité à passer pour découvrir le jardin de ses grands-parents quand on pourra bouger sans autorisation. J’espère que tu te porte bien. Prends soin de toi !
Je t’embrasse.
Jeanne
30 août 2035
Cher Mathis,
Merci de tes nouvelles rassurantes ! Elles m’ont aidées à me concentrer sur ce qui allait bien et sur ce que je pouvais faire ici. La situation était tellement catastrophique qu’il fallait bien arrêter de me lamenter.
Depuis ma dernière lettre, j’ai eu l’occasion de me rapprocher de certains volontaires, un peu perdus sur Nantes, comme moi et avec qui c’était compliqué au début. Nous avons pu être logées ensemble sur l’exploitation quand les restrictions sanitaires ont été allégées : je n’aurais jamais imaginé pouvoir vivre en collectif de cette manière. Le stock de graines que j’ai pu me constituer est bien à l’abri, même si je ne suis pas sûre des conditions dans lesquelles les graines ont été conservées. Pour remercier les personnes qui nous ont accueillies ici j’ai commencé à proposer des ateliers de semis d’arbres fruitiers et de légumes.
Je ne pourrai pas utiliser tout ce qui était prévu pour ma mission, il va falloir trouver quelque chose. Ça doit te surprendre de ma part : ne pas m’en tenir à ce que j’avais prévu.
Je te laisse, la reprise de la circulation des trains va être annoncée !
Je t’embrasse. J’espère que tu vas bien.
Jeanne.