24 Sep 2050
Alexandre Vuillermoz, Claude Philoche, Blandine Belœil et Léa Berthuin se sont rencontrés dans le cadre de la formation d’Educateurs Montessori pour les enfants de 6 à 12 ans. Leur lien s’est rapidement renforcé autour de la collapsologie. La visite d’une ferme pédagogique dans les environs de Genève les a inspirés pour imaginer le monde d’après. Ils ont mis en forme leurs imaginaires respectifs sous forme de récit qu’ils ont ensuite mis en scène. Une représentation, accompagnée de chants et d’instruments, a eu lieu fin août 2020. Tous les quatre ont à cœur d’échanger, d’interpeller et d’emmener vers un futur post-effondrement optimiste.
Il sera une fois en 2050 un monde profondément renouvelé après de grands bouleversements.
Un monde dans lequel les humains commenceront avec humilité, à trouver une autre façon d’être vivant parmi les vivants.
Au début ça nous fera bizarre de nous retrouver en 2050 (dans le monde d’après). Nous aurons l’impression d’être ivre mais sans avoir rien bu. Ce sera juste la pureté de l’air qui nous enivrera par sa puissance. Mais quand je dis “air pur” je suis sûr que vous pensez à l’air que vous trouvez en haut de vos montagnes ? Non, non, non. A côté de celui dont je parle, votre air pur semblera aussi pollué que celui des rues de Rio de Janeiro. En respirant l’air pur de 2050, nous aurons l’impression de respirer pour la première fois de notre vie. Nous aurons l’impression de renaître, et l’air pénétrera jusqu’à nos plus petites alvéoles pulmonaires pour y danser la rumba. Nous en pleurerons peut-être de joie ! Qui sait même si tout ce prana ne nous apportera pas une once supplémentaire de sagesse.
Avez-vous déjà vu un vrai ciel étoilé ? En 2050 nous n’aurons plus besoin d’aller chercher la nuit, la vraie nuit, dans le triangle noir du Quercy ou ailleurs, pour la voir. Le ciel ne sera plus souillé de nos lumières parasites, il nous suffira de sortir de chez nous par une nuit sans nuage pour pailleter nos mirettes du doux frou frou étoilé.
Etes-vous loup ? La fin de la pollution sonore et le recul de l’empire humain sur l’environnement redonnera aux animaux tous leurs droits. Certains d’entre eux iront même jusqu’à créer une démocratie animale et des tribunaux de poules, une caisse d’allocation familiale de lapins. Dans les rues de l’ancien Paris, les loubards seront chassés par les loups revenus en meutes, et installés dans les anciens locaux du café Flore ou pattes sur les tables de chez Maxim’s. Et oui il nous faudra apprendre à notre tour composer avec eux, comme les animaux ont appris à composer si longtemps avec nous.
Suite à l’envolée des prix de l’énergie, qui est nichée au coeur de toutes les activités humaines, nous remettrons tout à plat pour y substituer qualité à quantité. Terminés les circuits longs de fabrication à un bout de la planète, d’assemblage à un autre, et de distribution à un troisième. Nous relocaliserons toutes nos activités dans des circuits courts à l’échelle d’éco-régions à dimension humaine et en créant partout des environnements physiques, dynamiques, temporels, sociaux et émotionnels apaisés et apaisants.
Terminés le streaming vidéo à tout heure du jour et de la nuit, la pornographie ou la haine en ligne, ou encore les rencontres sur Tinder. Nous retrouverons le charme des bals, de la musique réunis autour d’un feu, et des baladins qui nous enchanteront de leurs contes immémoriaux.
Terminés les transports intercontinentaux, les embouteillages estivaux, l’exploration de la planète Mars, la déforestation massive et l’effondrement de la biodiversité. Nous entrerons joyeusement dans le temps du Do It Yourself, des déplacements à vélo, à pied, à cheval ou à la voile, de la permaculture et de l’agro-biologie. Les forêts éloignées reprendront lentement des couleurs. Certes, il faudra près de 1000 ans pour que la forêt primaire se régénère, mais le point de non retour sera derrière nous : le vivant reprendra doucement ses droits.
Nous apprendrons d’ici 2050 à reprogrammer notre striatum, cette partie de notre cerveau responsable de la libération de la dopamine, l’hormone du plaisir. Renforcé par notre appétit illimité pour la nourriture, la sexualité, le pouvoir, l’efficacité et l’information, il était à la racine des excès individuels et collectifs depuis l’apparition des premiers humains. Les deux moyens que nous emploierons pour y parvenir sont très simples, disponibles depuis toujours, sous nos yeux aveuglés par l’hubris : la méditation, et l’éducation. Tout simplement.
Le mot “terre” prendra alors tout son sens, il sera synonyme de communion. Les humains commenceront timidement par la culture de légumes, fruits et aromates sur leurs balcons, ou même sur leurs rebords de fenêtres. Tout mètre carré de parc, allée, fossé verra pousser toute sorte d’incroyables comestibles. Puis, l’appel de la terre sera si puissant que beaucoup d’humains quitteront les villes pour s’enraciner à la campagne. Ils s’armeront de persévérance, tout en ouvrant leur coeur, pour comprendre le fonctionnement de la nature et établir une relation authentique avec elle.
Les habitats collectifs et micro-fermes où chacun apporte son savoir-faire et son savoir-être, pousseront ici et là. Les moyens humains et matériels seront mutualisés ; l’intelligence collective emmènera les humains vers une créativité débordante, toujours respectueuse du vivant.
La relation des humains avec les animaux prendra une forme toute particulière. Le livre « Parler pour que les animaux écoutent et écouter pour que les animaux parlent” de Fablich et Mazler sera un best-seller en 2032. Cet ouvrage révolutionnera la façon dont les humains considèreront les animaux, si bien qu’une coopération s’établira progressivement entre eux, notamment grâce à la météo animale, essentielle pour cultiver. Les animaux feront preuve d’une grande ouverture d’esprit, laissant des millénaires d’exploitation par les humains derrière eux. Tout humain deviendra de facto végétarien, ne supportant plus l’idée de manger ses propres frères. La consommation humaine de produits ou d’aliments issus d’animaux (oeufs, miel, etc.) sera bien sûr discutée avec chaque animal concerné. Du troc se mettra en place, comme par exemple : “Puis-je tondre ta laine contre une charrette d’herbe bien fraîche ?”
Ce lien privilégié avec le vivant apaisera profondément les humains qui se détourneront de toute forme de compétition. L’harmonie sera enfin le maître-mot.
Plus de célébrités, plus de #, de chief happiness officer, plus de télé, de Uber pain, Uber viande, Uber légumes comme en 2025. Fini les drones livreurs, les déchets enterrés, les noyades dans l’océan d’infos de l’internet, la vidéosurveillance, les accidents de voiture, le stress, les followers, le manque de temps, les applications, les codes barres, les notifications. Finie la crise de sens. Les humains auront ouvert les yeux. Et ils auront vu. Ils auront vu la lumière, qui ne viendra plus des ampoules mais des conseils d’un vieux sage, la chaleur non plus des radiateurs mais naître de l’harmonie de voix chaudes qui chantent en choeur, la communication qui ne se fera plus par une savante chorégraphie de pouces sur le pavé froid (clavier d’ordinateur, mais de délicates boucles d’encre déposées sur un papier texturé.
Bien commun, vivre ensemble, mutualisation des forces et des moyens seront passés de concepts politiques à philosophies profondément incarnées. Chaque jour, la volonté de liberté de l’homme transcendera tout artifice. Il sera, plus que jamais, réceptif au bonheur, simple, et profondément nourri par la richesse des partages d’une vie en communauté.